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IMM-643-22

2022 CF 286

Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (demandeur)

c.

Magabi Lashury Suleiman (défendeur)

Répertorié : Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Suleiman

Cour fédérale, juge Sadrehashemi—Par vidéoconférence, 16 février; Ottawa, 1er mars 2022.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Détention et mise en liberté — Demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ordonnant la libération du défendeur — La commissaire de la SI a estimé que, après quelque deux ans et demi de détention, les démarches entreprises en vue du renvoi du défendeur du Canada s’étaient enlisées au point où son renvoi ne pouvait plus être considéré comme possible — Ayant conclu que le renvoi du défendeur n’était plus possible, la commissaire a ordonné sa libération du centre de détention — Le défendeur est arrivé au Canada en tant que réfugié apatride avec sa famille et il a obtenu le statut de résident permanent — On lui a refusé la citoyenneté canadienne en raison de ses antécédents criminels — Il a été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité en application de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et une mesure d’expulsion a été prononcée contre lui — Il a également été déclaré personne constituant un danger pour le public et a perdu son statut de personne protégée — Il est maintenant considéré comme un étranger visé par une mesure de renvoi exécutoire — Il a fait l’objet de 30 examens des motifs de détention — La commissaire de la SI a estimé que le renvoi du défendeur n’était plus considéré comme réalisable et que, en conséquence, vu l’arrêt Brown c. Canada (Citoyenneté et Immigration) de la Cour d’appel fédérale, il n’y avait plus de lien entre la détention et le renvoi comme objet intéressant l’immigration — Le défendeur a été libéré par les autorités de l’immigration, sous réserve de plusieurs conditions; toutefois, la libération du défendeur a été suspendue jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire — Il s’agissait de déterminer si la commissaire a eu tort de dire que le renvoi du défendeur n’était pas possible, si elle a eu tort de conclure à l’absence d’un lien susceptible de justifier le maintien en détention et si les modalités de mise en liberté imposées par la commissaire étaient déraisonnables — En l’espèce, la question posée dans le présent contrôle judiciaire portait sur la conclusion de la commissaire de la SI sur la question préliminaire de savoir si la détention du défendeur restait liée à un objet intéressant l’immigration — La conclusion décisive de la commissaire était que l’expulsion du défendeur était devenue illusoire et "si lointaine qu'elle [était] fondée sur des conjectures" — Il n’y avait aucune raison de s’immiscer dans l’analyse de la commissaire concernant cette question — La conclusion de la commissaire était transparente, intelligible et justifiée, après examen de la preuve considérable versée au dossier, et compte tenu des indications données par la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Brown, sur la manière de déterminer le moment à partir duquel un renvoi n’est plus possible — L’analyse et la conclusion de la commissaire étaient donc raisonnables — Quant à la possibilité que la détention soit ordonnée au seul motif que le défendeur constitue un danger pour le public, même lorsque le renvoi a été déclaré impossible, l’arrêt Brown n’énumère pas les autres circonstances dans lesquelles le pouvoir de détention pourrait être exercé en dehors de la période précédant le renvoi — L’interprétation de la commissaire était que, selon l’arrêt Brown, dans un cas comme celui du défendeur, il existe une règle implicite selon laquelle l’expulsion doit être possible pour que la détention puisse être maintenue en vertu des paragraphes 58(1) et (2) de la Loi et que l’arrêt Brown n’excepte nulle part explicitement les personnes en détention pour cause de danger public de la règle selon laquelle leur expulsion doit être possible — Le demandeur n’a pas démontré que l’opinion de la commissaire était déraisonnable — Le raisonnement de la commissaire était intelligible, transparent et justifié — Les conditions de la mise en liberté étaient aussi raisonnables — Globalement, la commissaire a considéré que, dans ce contexte, où la détention ne pouvait plus être ordonnée parce que, selon elle, le renvoi n’était plus possible, ces conditions étaient celles qu’il convenait d’imposer dans le cas d’une mise en liberté — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ordonnant la libération du défendeur. La commissaire de la SI avait estimé que, après quelque deux ans et demi de détention, les démarches entreprises en vue du renvoi du défendeur du Canada s’étaient enlisées au point où son renvoi ne pouvait plus être considéré comme possible. Ayant conclu que le renvoi du défendeur n’était plus possible, la commissaire a ordonné au Centre de détention d’Ottawa-Carleton de le libérer. Le demandeur a d’abord soutenu que la commissaire a eu tort de conclure que le renvoi ne pouvait plus être considéré comme possible. Ensuite, parce que le défendeur était détenu au motif qu’il constituait un danger pour le public, le demandeur a considéré qu’un lien subsistait avec un objet intéressant l’immigration, à savoir la sécurité publique, et que ce lien pouvait justifier la détention, même si le renvoi n’était plus possible. Enfin, le demandeur a soutenu que les conditions de mise en liberté imposées par la commissaire étaient déraisonnables parce qu’elles ne prenaient pas suffisamment en compte la sécurité publique et/ou le risque de fuite, et parce qu’elles ne mettaient pas en équilibre les critères de l’article 248 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Le défendeur est considéré comme apatride; il est possible qu’il soit né en Ouganda. Il est arrivé au Canada en tant que réfugié apatride il y a près de 30 ans à la faveur du programme de réinstallation des réfugiés. Il est arrivé au Canada depuis un camp de réfugiés au Kenya et il a obtenu la résidence permanente dès son entrée au Canada avec sa famille en 1993. Au Canada, le défendeur a été retiré de son foyer familial et placé en foyer d’accueil plusieurs années durant son adolescence. Il a ensuite été retourné aux soins de sa mère. D’autres membres de sa famille ont demandé et obtenu la citoyenneté canadienne, mais aucune demande de citoyenneté n’a été présentée pour lui durant sa minorité. Il a demandé la citoyenneté en 2007 quand il avait environ 25 ans, mais sa demande a finalement été repoussée en 2015, vraisemblablement en raison de ses antécédents criminels. Entre 2011 et 2015, le défendeur a été reconnu coupable de plusieurs infractions criminelles graves, notamment des infractions violentes. En conséquence de ces condamnations, le défendeur a dû affronter plusieurs procédures intéressant l’immigration. En 2016, il a été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité en application de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) et une mesure d’expulsion a été prononcée contre lui. Il a perdu son statut de résident permanent. Il a ensuite été déclaré personne constituant un danger pour le public au sens de l’alinéa 115(2)a) de la Loi, la conséquence étant que son statut de personne protégée ne constituait plus un obstacle empêchant le demandeur de le renvoyer du Canada. Le défendeur est alors considéré comme un étranger au Canada, visé par une mesure de renvoi exécutoire. Après avoir purgé sa peine d’emprisonnement en août 2019, le défendeur a été immédiatement placé sous la garde des autorités de l’immigration. Il est demeuré en détention depuis lors dans une prison provinciale par les autorités de l’immigration. Depuis que le défendeur est détenu par les autorités de l’immigration, il a subi plus de 30 examens des motifs de sa détention, à l’issue desquels la SI a toujours refusé de le libérer. À chacun des examens, la capacité de renvoyer le défendeur a été mise en doute, sa nationalité n’ayant toujours pas été confirmée. Tout au long de cette période, le défendeur a coopéré avec le demandeur dans ses multiples efforts pour déterminer sa nationalité en vue d’obtenir les titres de voyage devant faciliter son renvoi. Récemment, le demandeur et le défendeur se sont appliqués à conclure une entente avec un organisme afin qu’il puisse être admis dans le programme en résidence de cet organisme pour y suivre un traitement.

Lors du dernier examen des motifs de détention, la commissaire de la SI a estimé que, vu l’échec des autorités canadiennes à obtenir des renseignements utiles du Kenya ou de l’Ouganda depuis la détention du défendeur, le renvoi de celui-ci n’était plus considéré comme réalisable et, en conséquence, vu l’arrêt Brown c. Canada (Citoyenneté et Immigration) de la Cour d’appel fédérale, il n’y avait plus de lien entre la détention et le renvoi comme objet intéressant l’immigration. Le défendeur a été libéré par les autorités de l’immigration, sous réserve de plusieurs conditions. Cependant, la libération du défendeur a été suspendue jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire.

Les questions soulevées par le demandeur dans sa contestation de la décision de la commissaire de la SI de libérer le défendeur étaient celles de savoir si la commissaire a eu tort de dire que le renvoi du défendeur n’était pas possible, s’il a eu tort de conclure à l’absence d’un lien susceptible de justifier le maintien en détention et si les modalités de mise en liberté imposées par la commissaire étaient déraisonnables.

Jugement : la demande doit être rejetée.

La commissaire a eu raison de dire que les démarches entreprises en vue de renvoyer le défendeur se sont enlisées, rendant son renvoi désormais impossible. Elle a fait une appréciation raisonnée de la preuve et a suivi les principes énoncés dans l’arrêt Brown de la Cour d’appel fédérale.

Dans son arrêt Brown, la Cour d’appel fédérale, saisie d’une contestation portant sur l’équité et la constitutionnalité, selon les articles 7, 9 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, du régime d’examen des motifs d’une détention, a fait une analyse approfondie des nombreux volets du régime. La Cour d’appel fédérale a finalement débouté les appelants de leur contestation de la validité du régime, tout en notant que plusieurs de leurs arguments étaient validés quant aux éléments dont les juges doivent tenir compte au moment de l’examen des motifs de détention. La Cour d’appel fédérale a estimé qu’il existe des règles implicites auxquelles doit se référer le commissaire pour savoir s’il y a des motifs justifiant une détention aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi. Elle a estimé que, à titre préliminaire, le commissaire devait être persuadé que le demandeur avait prouvé l’existence d’un lien entre la détention et un objet intéressant l’immigration; lorsque la personne est en détention dans l’attente de son renvoi, ce lien sera inexistant en cas d’impossibilité de renvoi. La question posée en l’espèce portait sur la conclusion de la commissaire sur cette question préliminaire, soit celle de savoir si la détention du défendeur restait liée à un objet intéressant l’immigration. La conclusion décisive de la commissaire était que l’expulsion du défendeur était devenue « illusoire » et « si lointaine qu'elle [était] fondée sur des conjectures ». La commissaire est arrivée à cette conclusion après examen approfondi des efforts faits jusque-là par le demandeur et par le défendeur pour déterminer son pays de naissance et obtenir les titres de voyage devant faciliter son renvoi. La commissaire a passé en revue les pistes données dans l’arrêt Brown par la Cour d’appel fédérale sur la manière dont les décideurs doivent s’y prendre pour dire si le renvoi reste une possibilité, et elle s’en est servi dans son appréciation de la preuve. Il n’y avait aucune raison de s’immiscer dans l’analyse de la commissaire concernant cette question. La conclusion de la commissaire selon laquelle le renvoi n’était plus une possibilité n’était pas prématurée. Dans son examen des efforts du demandeur interprétés dans leur contexte global, la commissaire a estimé que la perspective de pouvoir obtenir des titres de voyage pour le défendeur, un apatride, 30 ans après son droit d’établissement au Canada, était devenue illusoire. La conclusion de la commissaire était transparente, intelligible et justifiée, après examen de la preuve considérable versée au dossier, et compte tenu des indications données par la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Brown, sur la manière de déterminer le moment à partir duquel un renvoi n’est plus possible. L’analyse de la commissaire et sa conclusion sur cette question étaient donc raisonnables.

Le demandeur a prétendu que l’interprétation de l’arrêt Brown donnée par la commissaire n’était pas raisonnable parce que la Cour d’appel fédérale a laissé ouverte la possibilité que la détention soit ordonnée au seul motif que la personne constitue un danger pour le public, même lorsque le renvoi était déclaré impossible. La Cour d’appel fédérale n’a pas énuméré les autres circonstances dans lesquelles le pouvoir de détention pouvait être exercé quand ce n’était pas pendant la période précédant le renvoi. Ni le demandeur ni le défendeur ne pouvait savoir avec certitude ce que sont les circonstances, en dehors d’un renvoi, que la Cour d’appel fédérale pouvait avoir à l’esprit dans sa décision à cet égard. Le demandeur a soutenu que c’était là une « zone grise » de l’arrêt Brown. L’interprétation faite par la commissaire de cette « zone grise » était la suivante : (i) dans l’arrêt Brown, la Cour d’appel fédérale a conclu que, dans un cas comme celui du défendeur, il existe une règle implicite selon laquelle l’expulsion doit être possible pour que la détention puisse être maintenue en vertu des paragraphes 58(1) et (2) de la Loi et que (ii) l’arrêt Brown n’excepte nulle part explicitement les personnes en détention pour cause de danger public de la règle selon laquelle leur expulsion doit être possible. Le demandeur n’a pas démontré que l’opinion de la commissaire était déraisonnable. Il n’y avait aucune raison de s’immiscer dans la décision de la commissaire. Son raisonnement était intelligible, transparent et justifié au regard du dossier et des observations qui lui ont été présentées.

Les conditions de libération étaient également raisonnables. La décision devait être considérée dans son contexte. La commissaire disposait de documents émanant de plus de 30 examens des motifs de détention. Le législateur a confié à la Section de l’immigration, et non à la Cour, la tâche de pondérer les facteurs de risque et l’efficacité des conditions de mise en liberté pour atténuer le risque. Cet exercice comporte un élément inhérent de subjectivité, car il n’y a pas de formule mathématique pour déterminer le résultat. Globalement, la commissaire a considéré que, dans ce contexte, où la détention ne pouvait plus être ordonnée parce que, selon elle, le renvoi n’était plus possible, ces conditions étaient celles qu’il convenait d’imposer dans le cas d’une mise en liberté. Il a considéré les programmes de réadaptation que le défendeur avait déjà suivis, son plus récent comportement durant sa détention, sa coopération avec les responsables de l’ASFC et son désir de participer à deux programmes spécifiques pour délinquants sexuels qui lui étaient offerts. Vu les circonstances exceptionnelles de la présente affaire, les conditions imposées étaient raisonnables.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 9, 12.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 36(1)a), 58, 115(2)a).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 248.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Brown c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CAF 130, [2021] 1 R.C.F. 53; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Mason, 2021 CAF 156, [2022] 1 R.C.F 3.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Suleiman, IMM-643-22, le juge Fothergill, ordonnance en date du 1er février 2022 (C.F.) (non publiée); Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Taino, 2020 CF 427, [2020] 4 R.C.F. F-1; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Samuels, 2009 CF 1152, [2010] 2 R.C.F. F-13; Ali v. Canada (Minister of Public Safety and Emergency Preparedness), 2017 ONSC 2660 (CanLII), 137 O.R. (3d) 498; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Thavagnanathiruchelvam, 2021 CF 592.

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

Isse c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 405; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Lunyamila, 2016 CF 1199, [2017] 3 R.C.F. 428; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Thomas, 2021 CF 456; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Shen, 2020 CF 405.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (2022 CanLII 131157) ordonnant la libération du défendeur. Demande rejetée.

ONT COMPARU :

Kevin Spykerman pour le demandeur.

Jessica Chandrashekar et Benjamin Liston pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Aide juridique Ontario, Bureau du droit des réfugiés, Toronto, pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

La juge Sadrehashemi :

I.     Aperçu

[1]        Le 21 janvier 2022, une commissaire de la Section de l’immigration (la commissaire) a ordonné aux autorités de l’immigration de libérer M. Suleiman [Suleiman c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2022 CanLII 131157 (C.I.S.R.)]. Elle a estimé que, après quelque deux ans et demi de détention, les démarches entreprises en vue du renvoi de M. Suleiman du Canada s’étaient enlisées au point où son renvoi ne pouvait plus être considéré comme possible. Ayant conclu que le renvoi de M. Suleiman n’était plus possible, la commissaire a ordonné au Centre de détention d’Ottawa-Carleton de le libérer.

[2]        Le demandeur, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre), a contesté l’ordre donné aux autorités de l’immigration de libérer M. Suleiman. Il soutient d’abord que la commissaire a eu tort de conclure que le renvoi ne pouvait plus être considéré comme possible. Deuxièmement, parce que M. Suleiman était détenu au motif qu’il constituait un danger pour le public, le ministre considère qu’un lien subsistait avec un objet intéressant l’immigration, à savoir la sécurité publique, et que ce lien pouvait justifier la détention, même si le renvoi n’était plus possible. Enfin, le ministre soutient que les conditions de mise en liberté imposées par la commissaire sont déraisonnables parce qu’elles ne prennent pas suffisamment en compte la sécurité publique et/ou le risque de fuite, et parce qu’elles ne mettent pas en équilibre les critères de l’article 248 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

[3]        Je suis d’avis que la commissaire a eu raison de dire que les démarches entreprises en vue de renvoyer M. Suleiman se sont enlisées, rendant son renvoi désormais impossible. Elle a fait une appréciation raisonnée de la preuve et a suivi les principes énoncés dans l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, Brown c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CAF 130, [2021] 1 R.C.F. 53 (Brown). S’agissant de l’existence d’un lien avec un objet intéressant l’immigration, je crois que la commissaire, citant cet arrêt, était fondé à dire qu’il n’existait plus de lien puisque, selon elle, un renvoi n’était plus possible. Finalement, vu les circonstances exceptionnelles de la présente affaire, je suis d’avis que les conditions imposées par la commissaire pour la libération du défendeur étaient raisonnables.

[4]        Pour les motifs exposés ci-après, la demande de contrôle judiciaire présentée par le ministre est rejetée.

II.    Exposé des faits

[5]        M. Suleiman est considéré comme apatride puisque sa nationalité n’est confirmée dans aucun pays. On pense qu’il est né en Ouganda, mais cela n’a pas été confirmé.

[6]        Il est arrivé au Canada en tant que réfugié apatride il y a près de 30 ans, à l’âge de 11 ans, à la faveur du programme de réinstallation des réfugiés. Il est arrivé au Canada depuis un camp de réfugiés au Kenya, où lui-même et sa famille ont vécu plusieurs années. Il a obtenu la résidence permanente dès son entrée au Canada avec sa famille en 1993.

[7]        Au Canada, M. Suleiman a été retiré de son foyer familial et placé en foyer d’accueil plusieurs années durant son adolescence. Il a été retourné aux soins de sa mère quand il avait environ 16 ans. D’autres membres de sa famille ont demandé et obtenu la citoyenneté canadienne, mais aucune demande de citoyenneté n’a été présentée pour lui durant sa minorité. Il a demandé la citoyenneté en 2007 quand il avait environ 25 ans, mais sa demande a finalement été repoussée en 2015, vraisemblablement en raison de ses antécédents criminels.

A.    Criminalité et perte de statut

[8]        Entre 2011 et 2015, M. Suleiman a été reconnu coupable de plusieurs infractions criminelles graves, à savoir : 1) manquement à une obligation; 2) possession d’une substance de l’annexe 1; 3) avoir créé des troubles; 4) trafic d’une substance inscrite à l’annexe 1; 5) possession d’une substance inscrite à l’annexe 2 en vue d’en faire le trafic; 6) méfait portant sur un bien d’une valeur inférieure à 5 000 $; 7) agression sexuelle; 8) harcèlement criminel; 9) méfait à l’égard d’un bien; 10) séquestration; et 11) vol.

[9]        Les infractions criminelles de M. Suleiman qui ont eu lieu entre juin 2010 et avril 2011 étaient particulièrement graves et violentes. Il a été déclaré coupable de deux chefs d’agression sexuelle, ayant été convaincu d’attaques sur des jeunes femmes vulnérables, qui étaient en état d’ébriété, en se faisant passer pour un chauffeur de taxi clandestin.

[10]      Je signale en passant, pour la complétude du dossier, que, durant le présent contrôle judiciaire, les deux parties ont confirmé que la commissaire avait rapporté erronément, dans sa décision, l’étendue des condamnations au criminel de M. Suleiman, la commissaire ayant conclu qu’il avait été déclaré coupable de 14 chefs d’agression sexuelle. Elles ont confirmé aussi que la commissaire l’avait erronément désigné comme le très médiatisé « violeur du Marché By ». Aucune des parties ne s’est reposée sur cette erreur dans son argumentation lors du contrôle judiciaire.

[11]      Le 30 octobre 2014, M. Suleiman a été condamné à une peine d’emprisonnement de quatre ans, neuf mois et dix jours. Il a purgé la majorité de sa peine à l’établissement à sécurité maximale de Millhaven, où il a été détenu jusqu’à l’expiration de son mandat de dépôt le 7 août 2019.

[12]      En conséquence de ces condamnations, M. Suleiman a dû affronter plusieurs procédures intéressant l’immigration. En février 2016, il a été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité en application de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et une mesure d’expulsion a été prononcée contre lui. Il a perdu son statut de résident permanent. Il a aussi été déclaré, le 1er octobre 2019, personne constituant un danger pour le public au Canada au sens de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR (l’avis de dangerosité), la conséquence étant que son statut de personne protégée ne constituait plus un obstacle empêchant le ministre de le renvoyer du Canada. M. Suleiman est maintenant considéré comme un étranger au Canada, visé par une mesure de renvoi exécutoire.

B.    Détention par les autorités de l’immigration

[13]      Après avoir purgé sa peine d’emprisonnement le 7 août 2019, M. Suleiman a été immédiatement placé sous la garde des autorités de l’immigration. Il est demeuré en détention depuis lors dans une prison provinciale par les autorités de l’immigration.

[14]      Depuis que M. Suleiman est détenu par les autorités de l’immigration, il a subi plus de 30 examens des motifs de sa détention, à l’issue desquels la Section de l’immigration a toujours refusé de le libérer au motif qu’il constituait un danger pour le public au Canada, qu’il se soustrairait vraisemblablement à son renvoi et qu’il n’existait aucune solution de rechange adéquate propre à atténuer ces risques s’il était mis en liberté. À chacun des examens, la capacité de renvoyer M. Suleiman a été mise en doute, sa nationalité n’ayant toujours pas été confirmée.

[15]      Tout au long de cette période, M. Suleiman a coopéré avec le ministre dans ses multiples efforts pour déterminer sa nationalité en vue d’obtenir les titres de voyage devant faciliter son renvoi.

[16]      Récemment, le ministre et M. Suleiman se sont appliqués à conclure une entente avec la Société John Howard du Canada afin qu’il puisse être admis dans le programme en résidence de cet organisme. La Société John Howard a dit qu’elle étudierait l’admission de M. Suleiman dans son programme en résidence à condition qu’il soit également accepté dans le programme de traitement des Cercles de soutien et de responsabilité d’Ottawa (les CSR) et celui de la Clinique des comportements sexuels de l’Hôpital Royal d’Ottawa (la CCSHR). Il a été accepté dans le programme des CSR il y a quelque temps, et il a récemment été admis dans celui de la CCSRH.

C.   L’audience d’examen des motifs de la détention du 12 janvier 2022 et la décision

[17]      Lors de la plus récente audience d’examen des motifs de la détention, le 12 janvier 2022, le conseil du ministre a indiqué que la Société John Howard aurait besoin de quelques semaines pour évaluer le dossier de M. Suleiman, maintenant qu’il avait été accepté dans les programmes requis. Advenant que la Société John Howard décide d’accepter M. Suleiman dans son programme en résidence, les parties s’efforceraient alors d’établir de concert un plan pour une libération dès que possible.

[18]      Le conseil du ministre a aussi produit une preuve selon laquelle Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) International avait refusé d’approuver le contrat pour le lancement d’une enquête privée en Ouganda portant sur l’identité de M. Suleiman. Il a informé la commissaire qu’il n’était pas clair si la question relevait du cabinet d’enquête privée ou de l’Ouganda lui-même, vu que le Canada n’a pas conclu d’accord bilatéral en matière de sécurité avec l’Ouganda.

[19]      Le conseil de M. Suleiman n’avait appris le revers concernant l’enquête en Ouganda que la veille de l’audience d’examen. À l’audience, il a prié la commissaire de prononcer les ordonnances suivantes :

a)    convoquer le représentant de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) assurant la liaison avec SPAC International pour qu’il témoigne et fasse toute la lumière sur l’enquête privée qui s’enlisait en Ouganda;

b)    fixer une date pour un examen anticipé des motifs de la détention où serait entendu le témoignage du représentant de l’ASFC;

c)    divulguer toutes les communications entre les autorités canadiennes et les autorités ougandaises;

d)    libérer M. Suleiman au motif qu’il n’existe aucun lien entre sa détention et un objet intéressant l’immigration, et cela sans conditions, puisqu’un renvoi n’était plus envisageable.

[20]      Le conseil du ministre ne s’est pas opposé à l’assignation du représentant de l’ASFC pour qu’il témoigne et a consenti à le faire comparaître à la prochaine audience d’examen des motifs de la détention. La commissaire a estimé qu’un examen anticipé n’était pas requis à ce stade, mais a noté que, si l’on parvenait à obtenir, avec la Société John Howard, une solution de rechange à la détention, l’une ou l’autre des parties pourrait demander une audience anticipée.

[21]      La commissaire a indiqué qu’elle n’était pas disposée à rendre une décision sur les deux ordonnances restantes que souhaitait M. Suleiman — à savoir la divulgation des communications entre les autorités canadiennes et les autorités ougandaises, et la question du lien entre la détention et un objet intéressant l’immigration, sans oublier les éventuelles conditions d’une mise en liberté — et qu’une décision provisoire serait rendue avant l’examen suivant des motifs de la détention.

[22]      La commissaire a conclu que M. Suleiman constituait encore un danger pour le public au Canada, ainsi qu’un risque de fuite. Examinant les critères énumérés à l’article 248 du Règlement, elle a estimé que la durée de la détention (deux ans et demi) et les entraves à l’enquête ougandaise plaidaient en faveur d’une mise en liberté de M. Suleiman, tout en reconnaissant que les entraves en question ne dépendaient pas de l’ASFC. Elle a d’ailleurs relevé que, bien que les parties se soient efforcées de surveiller les conditions de détention de M. Suleiman, celui-ci avait dû endurer des conditions difficiles, en particulier quand une hausse des cas de COVID-19 au centre de détention avait eu pour résultat une réduction des mouvements et un accès restreint aux douches.

[23]      La commissaire a estimé qu’il n’y avait pas de solutions de rechange à la détention, mais a noté que les parties étaient près d’arriver à une solution raisonnable grâce au programme de la Société John Howard, et elle a encouragé les parties à poursuivre leurs efforts pour concrétiser cette solution. Elle a ordonné le maintien en détention de M. Suleiman.

D.   La décision de mise en liberté du 21 janvier 2022

[24]      Dans une décision écrite portant la date du 21 janvier 2022, la commissaire s’est prononcé sur les deux ordonnances restantes demandées par M. Suleiman et a finalement ordonné aux autorités de l’immigration de le libérer.

[25]      La commissaire a reconnu que l’ASFC avait fait des efforts concertés, mais infructueux, pour déterminer le pays de naissance de M. Suleiman. Cependant, les dernières nouvelles reçues du ministre concernant l’enquête ougandaise montraient que le processus de conclusion du contrat devant l’autoriser s’était enlisé, et les étapes suivantes n’étaient pas suffisamment concrètes pour convaincre la commissaire que des titres de voyage seraient obtenus grâce à l’enquête. La commissaire a estimé que, vu l’échec des autorités canadiennes à obtenir des renseignements utiles du Kenya ou de l’Ouganda depuis la détention de M. Suleiman, le renvoi de celui-ci n’était plus considéré comme réalisable et, en conséquence, vu l’arrêt Brown de la Cour d’appel fédérale, il n’y avait plus de lien entre la détention et le renvoi comme objet intéressant l’immigration.

[26]      La commissaire a estimé aussi, citant le paragraphe 58(3) de la LIPR et la jurisprudence en matière d’habeas corpus, qu’elle avait le pouvoir d’imposer des conditions à la libération de M. Suleiman, bien qu’ayant conclu qu’un renvoi ne pouvait plus être considéré comme possible. Cependant, ayant déjà conclu que la détention n’était pas admissible si un renvoi n’était plus possible, elle a estimé qu’une détention de facto, prenant la forme d’une assignation à résidence, de couvre-feux ou de programmes en résidence, ne serait pas raisonnable dans ces conditions.

[27]      La commissaire a ordonné que M. Suleiman soit libéré par les autorités de l’immigration, aux conditions suivantes :

a)    qu’il s’abstienne de troubler l’ordre public et qu’il observe une bonne conduite;

b)    qu’il communique à l’ASFC une adresse domiciliaire avant sa libération, et qu’il informe ensuite l’ASFC de tout changement d’adresse avant qu’il prenne effet;

c)    qu’il se présente à la date, à l’heure et à l’endroit fixés par l’ASFC;

d)    qu’il participe pleinement au programme de consultation des CSR selon les modalités de ce programme;

e)    qu’il participe pleinement au programme de consultation de la CCSHR, selon les modalités de ce programme.

[28]      La commissaire a conclu que, puisqu’il n’y avait aucune possibilité de renvoi, l’ordonnance demandée par M. Suleiman pour que soient divulguées toutes les communications entre les autorités canadiennes et les autorités ougandaises n’était plus nécessaire. La commissaire a en outre annulé ses ordonnances rendues lors de l’audience d’examen des motifs de la détention du 12 janvier 2022.

E.    Déroulement de la procédure devant la Cour

[29]      Le 22 janvier 2022, le ministre a déposé l’avis de la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire portant sur l’ordonnance de libération de M. Suleiman. L’avocat du ministre a aussi écrit à la Cour pour la prier de suspendre provisoirement l’ordonnance de libération jusqu’à ce qu’il soit en mesure de présenter une requête pour que soit rendue une autre ordonnance suspendant la libération de M. Suleiman en attendant qu’il soit statué sur la demande sous-jacente d’autorisation et de contrôle judiciaire. La suspension provisoire a été accordée, et l’instruction de la requête en suspension a été fixée au 31 janvier 2022.

[30]      Après l’instruction de la requête en suspension, le 1er février 2022, le juge Fothergill a autorisé la suspension de l’ordonnance de libération de M. Suleiman [Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Suleiman, IMM-643-22, le juge Fothergill, ordonnance en date du 1er février 2022 (C.F.) (non publiée)]. Il était persuadé que le ministre avait établi l’existence de questions sérieuses à trancher ainsi qu’un préjudice irréparable si la suspension n’était pas accordée, parce que les conditions de libération fixées par la commissaire ne permettaient pas de répondre au danger que M. Suleiman représentait pour le public au Canada. Il a estimé que la commissaire avait imposé des conditions minimales de libération qui ne suffisaient pas à [traduction] « éliminer presque totalement » le risque parce que la commissaire ne croyait pas avoir le pouvoir de faire quoi que ce soit d’autre. Le juge Fothergill a aussi estimé que la prépondérance des inconvénients favorisait le ministre et que tout inconvénient pour M. Suleiman serait atténué par une autorisation d’amorcer la demande sous-jacente de contrôle judiciaire et par une ordonnance prescrivant un examen accéléré de cette demande.

[31]      Le 3 février 2022, à la suite d’une demande conjointe des parties, l’instruction de la demande de contrôle judiciaire a été fixée au 16 février 2022. Les parties ont également informé la Cour que l’examen suivant des motifs de la détention de M. Suleiman devait avoir lieu devant la Section de l’immigration le 18 février 2022.

[32]      À la clôture de l’audience tenue l’après-midi du 16 février 2022, j’ai informé les parties que les points soulevés étaient complexes et que j’avais besoin de temps pour étudier leurs arguments. Je leur ai dit que je n’étais pas certaine de pouvoir rendre une décision avant l’examen des motifs de la détention fixé au 18 février 2022. J’ai été informée par l’avocat du défendeur qu’il obtiendrait les instructions de son client et qu’il s’efforcerait de demander à la Section de l’immigration de reporter l’examen des motifs de la détention, étant entendu que c’est à la Section de l’immigration qu’il appartiendrait en dernière analyse de rendre cette décision. J’ai demandé aux parties de signaler à la Cour toute décision ultérieure.

[33]      Le 21 février 2022, j’ai appris que la Section de l’immigration avait rejeté la demande conjointe du conseil de M. Suleiman et du conseil du ministre visant au report de l’audience fixée au 18 février 2022. L’audience s’est déroulée le 18 février 2022, mais la Section de l’immigration a accepté la proposition conjointe des parties d’ordonner la libération de M. Suleiman sur le fondement de la même décision rendue le 21 janvier 2022, qui est l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune nouvelle preuve et aucun nouvel argument n’ont été déposés.

[34]      Vu que la libération de M. Suleiman a été suspendue en attendant que soit rendue une décision dans le présent contrôle judiciaire, le 23 février 2022, dès que j’ai été en mesure de faire connaître ma décision, j’ai rendu une ordonnance rejetant la demande de contrôle judiciaire du ministre. Les motifs détaillés de cette ordonnance sont exposés ci-après.

F.    Question préliminaire : la preuve présentée à la commissaire

[35]      Une question préliminaire s’est posée concernant la preuve qui avait été présentée à la commissaire. En dépit d’objections initiales, les parties sont finalement convenues que l’avis de dangerosité avait été joint à la preuve soumise à la Section de l’immigration et que la Cour en était donc validement saisie pour le contrôle judiciaire. S’agissant du rapport de sécurité de Service correctionnel Canada, le défendeur s’est opposé à son inclusion dans le dossier, contestant que ce rapport ait jamais été soumis à la Section de l’immigration. Le ministre n’a pas été en mesure de montrer que ce rapport avait été joint à la preuve soumise à la Section de l’immigration. Je n’ai donc pas tenu compte de ce rapport dans ma décision, ni ne me suis fondée sur les observations inspirées de ce rapport faites par le ministre dans son argumentation écrite.

III.   Points litigieux et norme de contrôle

[36]      Le ministre a soulevé plusieurs points dans sa contestation de la décision de la commissaire de libérer M. Suleiman : (i) la commissaire a-t-elle eu tort de dire que le renvoi de M. Suleiman n’était pas possible? (ii) la commissaire a-t-elle eu tort de conclure à l’absence d’un lien, susceptible de justifier le maintien en détention, avec un objet intéressant l’immigration? et (iii) les modalités de mise en liberté imposées par la commissaire étaient-elles déraisonnables? Aucune des parties n’a mis en cause l’équité du processus d’examen des motifs de la détention.

[37]      Les deux parties s’accordent pour dire que la norme que je devrais appliquer dans l’examen de la décision de la commissaire sur ces questions est celle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 (Vavilov), la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de la décision raisonnable est celle qui est présumée s’appliquer pour l’examen au fond des décisions administratives. La présente affaire ne soulève aucune question qui justifierait une dérogation à cette présomption.

[38]      Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a qualifié la norme de la décision raisonnable de norme qui commande la retenue judiciaire, mais qui reste néanmoins une norme « rigoureu[se] », l’analyse ayant pour point de départ les motifs du décideur (au paragraphe 13). Il importe d’interpréter les motifs écrits du décideur « eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés » (Vavilov, au paragraphe 103).

[39]      Pour la Cour suprême, une décision raisonnable est une décision « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et […] justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au paragraphe 85). Le décideur administratif, dans l’exercice de tout pouvoir public, doit s’assurer que sa décision est « justifié[e], intelligible et transparent[e] non pas dans l’abstrait, mais pour l’individu qui en fait l’objet » (Vavilov, au paragraphe 95).

IV.   Analyse

A.    L’arrêt Brown de la Cour d’appel fédérale

[40]      Dans son arrêt Brown, la Cour d’appel fédérale, saisie d’une contestation portant sur l’équité et la constitutionnalité, selon les articles 7, 9 et 12 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés], du régime d’examen des motifs d’une détention, a fait une analyse approfondie des nombreux volets du régime. Elle a finalement débouté les appelants de leur contestation de la validité du régime, tout en notant que « plusieurs de leurs arguments sont validés par les conclusions énoncées dans les présents motifs quant aux éléments dont il faut tenir compte au moment du contrôle judiciaire des motifs de détention » (au paragraphe 20). Elle a souligné que « les commissaires de la [Section de l’immigration] qui procèdent au contrôle des motifs de détention et les juges qui président au contrôle judiciaire doivent tenir compte de la Charte et des normes du droit administratif » (au paragraphe 20).

[41]      Une question clé soulevée dans l’espèce Brown était celle-ci : le régime de détention établi dans la LIPR et dans le Règlement était-il déficient au plan constitutionnel au motif qu’il n’y avait pas de limite explicite à la durée de la détention, ni obligation explicite pour un commissaire de libérer une personne détenue lorsque le renvoi de celle-ci n’était plus raisonnablement envisageable? La Cour d’appel fédérale a estimé qu’il existe des règles implicites auxquelles doit se référer le commissaire pour savoir s’il y a des motifs justifiant une détention aux termes du paragraphe 58(1) de la LIPR.

[42]      Citant un arrêt de la Cour suprême du Canada, Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350 (Charkaoui) et estimant qu’il doit exister une connexité générale sur ce point avec la jurisprudence en matière d’habeas corpus (Brown, aux paragraphes 22–23 et 95), la Cour d’appel a estimé que, à titre préliminaire, le commissaire devait être persuadé que le ministre avait prouvé l’existence d’un lien entre la détention et un objet intéressant l’immigration; lorsque l’intéressé est en détention dans l’attente de son renvoi, ce lien sera inexistant en cas d’impossibilité de renvoi (Brown, au paragraphe 44).

[43]      La question posée dans le présent contrôle judiciaire porte sur la conclusion de la commissaire sur cette question préliminaire : la détention de M. Suleiman restait-elle liée à un objet intéressant l’immigration, contribuant ainsi au mécanisme de contrôle de l’immigration?

B.    Le ministre n’a pas établi qu’un renvoi est possible

[44]      La conclusion décisive de la commissaire était que l’expulsion de M. Suleiman était devenue « illusoire » et « si lointaine qu’elle [était] fondée sur des conjectures ». Elle est arrivée à cette conclusion après examen approfondi des efforts faits jusque-là par le ministre et par M. Suleiman pour déterminer son pays de naissance et obtenir les titres de voyage devant faciliter son renvoi. La commissaire a passé en revue les pistes données dans l’arrêt Brown par la Cour d’appel fédérale sur la manière dont les décideurs doivent s’y prendre pour dire si le renvoi reste une possibilité, et il s’en est servi dans son appréciation de la preuve. Je ne vois aucune raison de m’immiscer dans l’analyse de la commissaire concernant cette question.

[45]      Citant l’arrêt Charkaoui de la Cour suprême du Canada, la Cour d’appel fédérale écrivait, dans l’arrêt Brown, que « la détention est justifiée si elle est “raisonnablement nécessaire” et si le renvoi demeure “possible” » (au paragraphe 93). Elle a écarté le critère de la prévisibilité raisonnable du renvoi, privilégiant plutôt la méthode selon laquelle le décideur se demandera si une expulsion demeure possible [au paragraphe 92] :

[…] Pour déterminer la constitutionnalité d’une détention pour une durée indéterminée, il faut se demander si le renvoi, et non la date précise prévue pour le renvoi, demeure une possibilité (Charkaoui, aux paragraphes 125 à 127, renvoyant à l’arrêt A. c. Secretary of State for the Home Department).

[46]      La Cour d’appel fédérale a donné des indications aux décideurs sur les critères à appliquer pour savoir s’il subsiste une possibilité d’expulsion [au paragraphe 95] :

[…] Le décideur doit être convaincu, au vu de la preuve, que le renvoi est possible. Cette possibilité doit être réaliste, et non fantaisiste, et ne saurait être fondée sur des hypothèses ou des conjectures. Elle doit être étayée par la preuve, et non par des suppositions, et la preuve doit être détaillée et suffisamment spécifique pour être crédible.

[47]      La commissaire a reconnu que, au cours des derniers deux ans et demi, l’ASFC avait fait des efforts concertés, mais infructueux, pour déterminer le pays de naissance de M. Suleiman et pour obtenir les titres de voyage qui permettraient son renvoi du Canada. M. Suleiman a coopéré dans les efforts de l’ASFC. La commissaire a détaillé l’étendue de ces démarches :

a)    demande d’assistance adressée aux autorités ougandaises pour l’obtention d’un titre de voyage d’urgence;

b)    demandes adressées au Bureau de contrôle des passeports de l’Ouganda, à l’Autorité nationale ougandaise de l’identification et de l’état civil et au Bureau de l’état civil ougandais, pour obtenir des documents se rapportant à M. Suleiman;

c)    tentatives d’établir des liens familiaux pour les fournir aux autorités ougandaises;

d)    entretiens et appels téléphoniques avec des proches au Canada, en particulier la sœur de M. Suleiman;

e)    déplacements en Colombie-Britannique pour frapper aux portes des parents restants de M. Suleiman;

f)     communications avec le Haut-Commissariat de l’Ouganda;

g)    demandes de renseignements adressées aux missions du Canada en Afrique;

h)    évaluation linguistique visant à déterminer la nationalité de M. Suleiman;

i)     échanges de correspondance avec l’agent de liaison à l’étranger chargé du Kenya pour qu’il prenne contact avec les autorités de l’immigration du Kenya et avec le Bureau national du Kenya, afin d’obtenir tout dossier intéressant M. Suleiman, sa mère ou sa sœur;

j)     entretiens répétés avec M. Suleiman;

k)    réunions avec l’attaché responsable de l’immigration et haut représentant consulaire du Haut-Commissariat de l’Ouganda;

l)     prise de contact avec les organismes chargés de délivrer des passeports afin d’obtenir copies de tout document utilisé par M. Suleiman et ses proches quand ils avaient demandé des passeports canadiens, la citoyenneté canadienne et la résidence permanente au Canada;

m)   demande d’information et d’assistance adressée à la Croix-Rouge et au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR);

n)    recrutement d’enquêteurs privés pour qu’ils enquêtent au Kenya dans l’espoir de trouver des informations et des documents concernant M. Suleiman;

o)    tentatives de conclusion d’un contrat semblable avec des enquêteurs privés pour qu’ils enquêtent en Ouganda.

[48]      La commissaire a noté que la mesure prise pour recruter des enquêteurs privés au Kenya représentait une démarche extraordinaire, coûteuse et très inhabituelle. La Section de l’immigration a appris que cette démarche avait échoué en juillet 2021, alors que M. Suleiman était en détention depuis environ deux ans. À ce stade, le conseil du ministre a indiqué que [traduction] « toutes les pistes possibles visant à établir la nationalité et le lieu de naissance de M. Suleiman avaient été explorées au Kenya, aucune documentation officielle n’y ayant été découverte ». La stratégie suivante du ministre avait consisté à conclure un contrat avec les mêmes enquêteurs privés pour qu’ils entreprennent une enquête semblable en Ouganda. Au cours des quelque six derniers mois, à chacun des examens effectués à intervalles de 30 jours, le conseil du ministre a communiqué des mises à jour à la Section de l’immigration à propos des mesures que prenait le ministre pour attribuer ce contrat et pouvoir avancer dans ce nouveau travail d’enquête en Ouganda.

[49]      Cependant, les dernières informations obtenues du ministre à propos de l’enquête ougandaise ont montré que le processus de conclusion du contrat s’était enlisé. La commissaire a passé en revue la preuve qui avait été présentée à propos de ce processus au cours des plus récents examens des motifs de la détention. Lors de l’examen effectué en décembre 2021, la Section de l’immigration a été informée qu’il restait des points à éclaircir avec SPAC International avant que les modalités de l’enquête privée en Ouganda puissent être finalisées, mais le conseil du ministre a dit avoir bon espoir que le contrat puisse être attribué au cours des 30 jours suivants. Lors du plus récent examen des motifs de la détention, le 12 janvier 2022, la commissaire a appris que SPAC International avait refusé d’approuver le contrat parce que, d’après cet organisme, l’Ouganda ne répondait pas aux normes de sécurité requises. Après analyse des options présentées par le représentant de l’ASFC qui avait assuré la liaison avec SPAC, elle a conclu que les options portant sur les prochaines étapes n’étaient « pas suffisamment concrètes pour faire avancer le processus d’obtention de titres de voyage pour M. Suleiman ». La commissaire a estimé que les étapes décrites étaient, « au vu des précédentes tentatives infructueuses, en vue d’obtenir des indications de l’Ouganda et du Kenya, trop ambigües, trop hypothétiques et trop irréalistes pour convaincre le présent tribunal que les autorités canadiennes obtiendraient des titres de voyages grâce à une enquête ».

[50]      La commissaire a situé ce dernier revers dans le panorama général des efforts constants déployés par le ministre et M. Suleiman au Canada, en Ouganda et au Kenya, pour obtenir des titres de voyage devant faciliter le renvoi. Elle a finalement estimé que, vu l’échec des autorités canadiennes à obtenir des informations utiles du Kenya ou de l’Ouganda depuis que M. Suleiman était en détention, c’est-à-dire depuis plus de deux ans et demi, le renvoi ne pouvait plus être considéré comme réalisable et qu’il n’y avait donc plus de lien entre la détention et un objet intéressant l’immigration, en l’occurrence le renvoi.

[51]      Le ministre soutient que la conclusion de la commissaire selon laquelle le renvoi n’était plus une possibilité était prématurée. Selon lui, la commissaire aurait dû attendre d’en savoir davantage sur les étapes suivantes de la part du représentant de l’ASFC qui était chargé d’attribuer le contrat portant sur l’enquête privée et qui devait témoigner à l’audience suivante d’examen des motifs de la détention.

[52]      La difficulté que pose l’approche défendue par le ministre est qu’elle considère isolément les démarches entreprises pour attribuer un contrat visant à la désignation d’un enquêteur privé en Ouganda, sans prise en compte du contexte tout entier des démarches faites à ce jour. Il est bien possible que, à chaque étape, le ministre fasse des efforts authentiques et raisonnables pour trouver des solutions dans l’espoir qu’elles permettront d’obtenir d’autres renseignements conduisant à un titre de voyage. Mais cela ne répond pas à la question suivante : lorsque l’on considère ces démarches dans leur contexte intégral, un renvoi est-il encore possible? La commissaire a estimé que la perspective de pouvoir obtenir des titres de voyage pour M. Suleiman, un apatride, 30 ans après son droit d’établissement au Canada, était devenue illusoire :

[…] Considérant l’échec des autorités canadiennes à obtenir des informations utiles de l’Ouganda au cours des années depuis que M. Suleiman est en détention; l’état incomplet du dossier relatif aux origines africaines de M. Suleiman, l’enquête avortée au Kenya, ainsi que l’enquête qui a mal tourné en Ouganda, le présent tribunal arrive à la conclusion qu’il est illusoire d’espérer obtenir des titres de voyage quelque 30 ans après le droit d’établissement de M. Suleiman au Canada. L’ASFC peut continuer d’examiner des options à l’infini, mais M. Suleiman ne saurait rester en détention indéfiniment dans l’attente de résultats. On doit arriver au stade où l’impasse est reconnue et où le renvoi n’est plus considéré comme réalisable.

[53]      La conclusion de la commissaire était transparente, intelligible et justifiée, après examen de la preuve considérable versée au dossier, et compte tenu des indications données par la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Brown, sur la manière de déterminer le moment à partir duquel un renvoi n’est plus possible.

C.   Absence de lien avec un objet intéressant l’immigration lorsque le renvoi n’est plus possible

[54]      La commissaire a estimé que, puisqu’il avait conclu que le renvoi de M. Suleiman n’était plus possible, son maintien en détention ne pouvait plus être ordonné. Elle a analysé la question en se fondant sur l’arrêt Brown. Je suis d’avis que son analyse et sa conclusion sont raisonnables.

[55]      Je relève que les observations présentées à la commissaire sur cette question lors de l’audience ont été limitées. Aucune des parties n’a mis en doute l’équité procédurale dans la possibilité qu’elle a eue de faire valoir des arguments sur la question.

[56]      La commissaire a d’abord étudié l’argument du conseil du ministre selon lequel elle devait suivre la décision Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Taino, 2020 CF 427, [2020] 4 R.C.F. F-1 (Taino), où la Cour a jugé que, même si le renvoi d’une personne est suspendu, sa détention peut être ordonnée s’il existe une raison en ce sens, par exemple le fait de constituer un danger pour le public.

[57]      Après avoir résumé la décision Taino, la commissaire a expliqué pourquoi, selon elle, ce précédent n’était pas applicable puisqu’il était antérieur à l’arrêt Brown. D’après son raisonnement, l’arrêt Brown confirmait que, dans ce cas, lorsque le renvoi n’était plus possible, alors disparaissait tout lien avec un objet intéressant l’immigration. La commissaire a aussi noté que la Cour d’appel fédérale n’avait pas donné à entendre qu’une personne en détention au motif qu’elle constitue un danger pour le public était une exception à la règle implicite voulant qu’il doit exister une possibilité d’expulsion avant que puisse être ordonné le maintien en détention en vertu des paragraphes 58(1) et (2) de la LIPR. D’après la commissaire, la conclusion du jugement Taino — selon laquelle le danger en question constituait un motif à lui seul, indépendamment de la réalité éventuelle d’une expulsion — n’était pas entérinée par la Cour d’appel, quoique celle-ci ait cité ce jugement pour une diversité de raisons.

[58]      Je suis d’avis que, par sa manière de considérer le jugement Taino sur la question du lien, la commissaire a fait une interprétation raisonnable de la portée de l’arrêt Brown.

[59]      Bien que la présente décision ne dépende nullement de cette distinction d’avec le jugement Taino, je reconnais que l’espèce Taino et la présente affaire sont distinctes. La commissaire, dans le cas de M. Suleiman, avait affaire au même contexte que celui dont était saisie la Cour d’appel fédérale dans l’espèce Brown, à savoir que « [la personne faisant l’objet de la mesure de renvoi] n’est pas autorisée à demeurer au Canada, mais le Canada ne peut exécuter la mesure de renvoi » (au paragraphe 1) et qu’elle a été maintenue en détention très longtemps pour des motifs liés à l’immigration. M. Suleiman n’est pas autorisé à demeurer au Canada, mais la commissaire a aussi conclu que le Canada n’a pas la possibilité de l’expulser. Les faits de l’affaire Taino sont différents. Dans cette affaire, la Cour examinait une décision où le défendeur Taino venait de se voir accorder la suspension de sa mesure de renvoi après une décision favorable consécutive à un examen des risques avant renvoi (ERAR); autrement dit, M. Taino avait le droit de demeurer au Canada parce que des représentants canadiens avaient suspendu la mesure de renvoi prononcée contre lui. Dans le jugement Taino, la Cour notait aussi que la durée de détention de M. Taino par les autorités de l’immigration avait été considérablement plus courte (2,5 mois) que dans les affaires d’habeas corpus citées par la Section de l’immigration (au paragraphe 72).

[60]      Dans l’arrêt Brown, la Cour d’appel fédérale a jugé que, lorsqu’une personne est en détention dans l’attente de son renvoi, la règle implicite exigeant que l’expulsion soit possible doit recevoir une interprétation libérale autorisant le maintien en détention en vertu de l’article 58 de la LIPR. Selon elle, le régime n’était pas inconstitutionnel du seul fait qu’il ne fixait pas de délais ou qu’il ne disait pas que le renvoi devait être raisonnablement envisageable, parce que le fait d’ « [e]xiger une déclaration expresse voulant que le pouvoir de détention ne puisse être exercé que lorsqu’il existe une réelle possibilité de renvoi équivaudrait à ajouter, par interprétation, une disposition redondante » (Brown, au paragraphe 60). Cette affirmation va à l’encontre du jugement Taino, où la Cour a jugé déraisonnable la décision de la Section de l’immigration de ne pas appliquer la jurisprudence contraignante de la Cour, à savoir Isse c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 405, et Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Samuels, 2009 CF 1152, [2010] 2 R.C.F. F-13, où il avait déjà été jugé que la présence du mot « exécutoire » ne saurait être présumée dans le paragraphe 58(2) de la LIPR puisque cela revenait à nier le sens ordinaire de la disposition, qui exigeait uniquement la prise d’une « mesure de renvoi » (aux paragraphes 57–58).

[61]      C’est dans ce contexte que la Cour, dans le jugement Taino, a jugé déraisonnable la décision de la Section de l’immigration — plutôt que d’appliquer la jurisprudence contraignante de la Cour — de s’en rapporter aux affaires d’habeas corpus, qui, selon la Cour, faisaient intervenir un critère différent et une détention généralement plus longue par les autorités de l’immigration, et à l’arrêt Charkaoui de la Cour suprême du Canada, qui concernait le régime des certificats de sécurité (aux paragraphes 70–74 et 80). Au contraire, dans l’arrêt Brown, la Cour d’appel fédérale, analysant la question du lien avec un objet intéressant l’immigration, dans le contexte d’une contestation constitutionnelle globale du régime de détention prévu par la LIPR et par le Règlement, citait abondamment l’arrêt Charkaoui, estimant qu’il existait « une connexité générale entre les critères applicables au contrôle des motifs de la détention et ceux servant à trancher une demande d’habeas corpus » (au paragraphe 95).

[62]      La conclusion de la commissaire selon laquelle la Cour d’appel fédérale avait jugé que le maintien en détention ne pouvait avoir lieu lorsqu’une expulsion n’était pas possible est validée tout au long de l’arrêt Brown (aux paragraphes 43, 44, 60, 90 et 91). La partie de l’arrêt, à savoir les paragraphes 90 à 102, qui analyse explicitement la règle selon laquelle il doit exister un lien avec un objet intéressant l’immigration ne portait que sur la règle implicite d’une possibilité d’expulsion. La Cour d’appel fédérale citait sur ce point l’arrêt Charkaoui [aux paragraphes 91–92] :

Une fois de plus, la Cour suprême nous fournit une orientation concernant cette question. La détention dans ce contexte est possible seulement si elle est raisonnablement nécessaire à des fins d’immigration (Charkaoui, au paragraphe 124, citant R. v. Governor of Durham Prison, Ex p. Singh, [1984] 1 All E.R. 983 (Q.B.) [précité] et Zadvydas v. Davis, 533 U.S. 678 (2001)). Si « [l]’expulsion [est] impossible », la détention dans ce contexte n’est plus possible (Charkaoui, aux paragraphes 125 à 127, renvoyant à l’arrêt A. v. Secretary of State for the Home Department, [2004] UKHL 56, [2005] 3 All E.R. 169).

À l’égard de la présence d’un lien avec l’immigration, l’arrêt Charkaoui nous enseigne que la détention peut être prolongée et peut être d’une durée indéterminée. Selon cette jurisprudence, la durée en soi n’est pas la seule donnée pertinente, pas plus que l’absence de date de renvoi; en fait, si la date du renvoi était connue, il est peu probable que les parties esteraient en justice. Pour déterminer la constitutionnalité d’une détention pour une durée indéterminée, il faut se demander si le renvoi, et non la date précise prévue pour le renvoi, demeure une possibilité (Charkaoui, aux paragraphes 125 à 127, renvoyant à l’arrêt A. v. Secretary of State for the Home Department [précité]).

[63]      Selon la commissaire, la répétition de la référence à cette règle implicite selon laquelle il doit exister une « possibilité […] d’expulsion » pour qu’il y ait détention s’appliquait à tous les motifs de détention énoncés au paragraphe 58(1) de la LIPR, et nulle part dans l’arrêt Brown la Cour d’appel fédérale n’a dit que cette règle ne s’appliquait pas lorsqu’une personne se trouvait en détention au motif qu’elle constituait un danger pour le public.

[64]      Le ministre a prétendu devant moi que l’interprétation de l’arrêt Brown donnée par la commissaire n’était pas raisonnable parce que la Cour d’appel fédérale a laissé ouverte la possibilité que la détention soit ordonnée au seul motif que l’intéressé constitue un danger pour le public, même lorsque le renvoi était déclaré impossible. Il s’est référé à la section de l’arrêt où la Cour d’appel fixait les limites au pouvoir de détention en général, et il a relevé, au paragraphe 44, que la règle implicite exigeant que le renvoi soit possible s’appliquait lorsque la détention était ordonnée « aux fins du renvoi », ajoutant que le pouvoir de détention était exercé « principalement, mais non exclusivement, pendant la période qui précède le renvoi ».

[65]      La Cour d’appel fédérale n’a pas énuméré les autres circonstances dans lesquelles le pouvoir de détention pouvait être exercé quand ce n’était pas pendant la période précédant le renvoi. Les parties avaient chacune leur propre avis sur la manière adéquate de combler cette lacune.

[66]      Le ministre s’est fondé sur cette lacune pour prétendre que la détention pouvait encore être ordonnée, malgré l’impossibilité du renvoi, si cela avait pour objet la protection de la sécurité publique, lorsque l’intéressé avait été mis en détention au motif qu’il représentait un danger pour le public. Selon lui, la détention, dans ce cas, ne serait pas ordonnée en vue d’un renvoi, mais plutôt pour protéger le public.

[67]      J’observe que le ministre s’est fondé sur l’affirmation de la Cour d’appel fédérale selon laquelle tous les motifs de détention énoncés à l’article 58 sont liés aux objets intéressant l’immigration, c’est-à-dire « assurer la sécurité des Canadiens et promouvoir la justice internationale en interdisant de territoire les criminels et les personnes qui constituent un danger à la sécurité (LIPR, alinéas 3(1)h) et i)) » (au paragraphe 42). Le ministre ne s’est pas aventuré cependant à expliquer la raison pour laquelle, d’après lui, certains des motifs justifiant une détention seraient soumis à la règle implicite exigeant qu’un renvoi soit possible, tandis que d’autres ne le seraient pas, si la sécurité publique était plus tard mise en avant comme fondement de la détention.

[68]      Pour le défendeur, cette lacune se rapportait au cas où une personne est en attente d’autres processus d’immigration « [qui] contribue[nt] plus au mécanisme de contrôle de l’immigration », de processus liés à l’entrée et à la sortie de migrants qui ne sont pas encore forcément à l’étape du renvoi, par exemple ceux qui sont en attente d’examens et d’enquêtes sur leur identité et leur niveau de sécurité, ou encore en attente d’une enquête. Si l’on adoptait le point de vue du défendeur sur les cas où la détention pourrait être ordonnée autrement qu’en vue d’un renvoi, l’observation de la Cour d’appel fédérale au paragraphe 44 n’aurait aucune pertinence dans l’interprétation que fait la commissaire de l’arrêt Brown appliquée à M. Suleiman, puisqu’aucun autre processus d’immigration n’était envisagé pour celui-ci à l’exception d’un renvoi.

[69]      Il n’est pas contesté entre les parties que la détention de M. Suleiman a eu lieu au cours des deux dernières années et demi, pendant lesquelles le ministre s’affairait à le renvoyer du Canada. Comme M. Brown, M. Suleiman a été détenu tout au long de ce processus au motif qu’il constituait un danger pour le public et qu’il se soustrairait vraisemblablement à son renvoi. Il n’est pas non plus contesté que, hormis le renvoi, M. Suleiman, ne fait plus l’objet d’aucun autre processus d’immigration. Il a déjà été déclaré interdit de territoire, il a perdu son statut de résident permanent et il est considéré comme constituant un danger pour le public au sens de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR, ce qui autorise son renvoi du Canada en dépit de son statut de personne protégée. Le seul processus d’immigration qui attendait M. Suleiman durant sa détention était son renvoi du Canada.

[70]      Finalement, j’ai l’impression qu’aucune des parties ne sait avec certitude ce que sont les circonstances, en dehors d’un renvoi, que la Cour d’appel fédérale pouvait avoir à l’esprit au paragraphe 44 de son arrêt. Le ministre a soutenu de vive voix devant moi que c’était là une « zone grise » de l’arrêt Brown. C’est bien possible. Cependant, il me reste l’interprétation faite par la commissaire de cette « zone grise ». Cette interprétation était celle-ci : (i) dans l’arrêt Brown, la Cour d’appel fédérale a jugé que, dans un cas comme celui de M. Suleiman, il existe une règle implicite selon laquelle l’expulsion doit être possible pour que la détention puisse être maintenue en vertu des paragraphes 58(1) et (2) de la LIPR; et (ii) l’arrêt Brown n’excepte nulle part explicitement les personnes en détention pour cause de danger public de la règle selon laquelle leur expulsion doit être possible.

[71]      Je ne crois pas que le ministre a prouvé que l’opinion de la commissaire est déraisonnable. Je suis persuadée que son raisonnement « se tient » (Vavilov, au paragraphe 104; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156, [2022] 1 R.C.F 3 (Mason), au paragraphe 40). Je ne vois aucune raison de m’immiscer dans sa décision. Son raisonnement est intelligible, transparent et justifié au regard du dossier et des observations qui lui ont été présentées.

D.   Les conditions de la mise en liberté sont raisonnables

[72]      Ayant jugé raisonnable la décision de la commissaire sur la nécessaire possibilité d’un renvoi et sur le lien entre la détention et un objet intéressant l’immigration, je dois maintenant trancher la troisième question : les conditions de la mise en liberté sont-elles raisonnables? Je réponds par l’affirmative.

[73]      La décision de la commissaire à cet égard doit être lue à la lumière des observations des parties. À la fin de l’audience du 12 janvier 2022, l’avocat de M. Suleiman a fait valoir que, si la commissaire ne constatait aucun lien avec un objet intéressant l’immigration, alors M. Suleiman pouvait être libéré sans conditions. L’avocat du ministre a prétendu que, même en l’absence d’un lien avec le renvoi, une solution de rechange à la détention qui éliminait presque totalement le risque était nécessaire.

[74]      Le ministre soutient que la commissaire aurait dû imposer des conditions prenant en compte le danger que représentait M. Suleiman pour le public et « éliminant presque totalement le risque ». Cette norme a été explicitée par la Cour à l’occasion de nombreuses affaires, notamment par son juge en chef dans la décision Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Lunyamila, 2016 CF 1199, [2017] 3 R.C.F. 428, aux paragraphes 45 et 116, et récemment par le juge Little dans la décision Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Thomas, 2021 CF 456, aux paragraphes 71 et 74. Je suis d’avis que la commissaire a eu raison d’écarter cette jurisprudence.

[75]      Les faits de ces deux affaires ne correspondent pas au cas de M. Suleiman, dont les motifs de la détention n’ont pas été établis; il n’y a en effet plus de lien avec un objet intéressant l’immigration puisque son expulsion a été déclarée impossible. Contrairement à l’analyse faite dans ces deux jugements, où la norme de l’« élimination presque totale » guidait l’appréciation des critères de l’article 248 du Règlement, la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Brown, a conclu que la question du lien était une question préliminaire devant être tranchée avant toute appréciation des critères de l’article 248.

[76]      La Cour d’appel a considéré l’analyse du lien comme « l’exigence initiale […] [a]utrement dit, la question est de savoir si la détention prolongée peut être ordonnée » (Brown, au paragraphe 96 [souligné dans l’original]). La conclusion de la commissaire selon laquelle le renvoi n’est pas une possibilité pour M. Suleiman n’est pas un critère qui, à l’instar de la durée de la détention, doit être mis en balance avec les autres critères de l’article 248 — c’est une constatation déterminante qui contraint la Section de l’immigration à ordonner la mise en liberté. La commissaire a donc eu raison de ne pas appliquer la norme de l’« élimination presque totale » ou de ne pas réévaluer les critères de l’article 248 dans sa décision du 21 janvier 2022, après avoir conclu, à titre préliminaire, qu’un renvoi n’était plus envisageable.

[77]      La commissaire a aussi rejeté l’argument du conseil de M. Suleiman selon lequel aucune condition ne pouvait être imposée en cas d’absence de lien avec le renvoi. Elle a conclu que, même si elle n’avait plus le pouvoir de détenir M. Suleiman, elle pouvait assujettir sa libération à des conditions. Elle a fondé, avec raison, ce pouvoir sur le pouvoir général conféré aux commissaires par le paragraphe 58(3) de la LIPR d’imposer les conditions qu’ils estiment nécessaires pour une mise en liberté. J’observe que la LIPR ne dit nulle part que ce pouvoir ne peut être exercé que lorsque les motifs de la détention ont été établis.

[78]      La commissaire s’est aussi référé, par analogie, à une jurisprudence portant sur l’habeas corpus, Ali v. Canada (Minister of Public Safety and Emergency Preparedness), 2017 ONSC 2660 (CanLII), 137 O.R. (3d) 498; la Cour supérieure de l’Ontario avait ordonné que M. Ali, un détenu de l’immigration, soit mis en liberté moyennant des conditions assez rigoureuses, alors même qu’elle avait conclu que sa détention ne pouvait se poursuivre parce qu’elle était illégale.

[79]      La commissaire a alors examiné les genres de conditions qu’elle pouvait décemment imposer dans ce contexte. Selon elle, puisqu’elle avait conclu que la détention de M. Suleiman n’était plus légale, il ne lui semblait pas raisonnable de fixer « des conditions reflétant une véritable détention ». Elle faisait ensuite observer qu’ «[u]ne détention [de facto] prenant la forme d’une assignation à résidence, de couvre-feux ou de programmes en résidence par exemple ne serait pas raisonnable ». Au paragraphe suivant de sa décision, elle observait qu’il serait cependant raisonnable d’imposer des mesures moins restrictives, pour évoquer ensuite le programme en résidence de la Société John Howard.

[80]      Selon moi, lues de concert, ces observations signifient que la commissaire ne se référait pas aux exemples du paragraphe précédent, c’est-à-dire programmes en résidence, imposition d’un couvre-feu ou assignation à résidence, comme à des exemples qui équivaudraient nécessairement, en tant que tels, à une détention de facto dans chaque cas; elle faisait remarquer plutôt, en termes généraux, que, si des conditions de ce genre étaient employées d’une manière rappelant véritablement une détention, alors elles ne conviendraient pas dans un cas où la détention avait été déclarée illégale.

[81]      Il eût été préférable que cette partie de la décision de la commissaire soit formulée plus clairement, mais les motifs écrits d’un organisme administratif « ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection » (Vavilov, au paragraphe 91; Mason, au paragraphe 40). Je conclus que la commissaire ne s’est pas dispensé d’envisager des conditions particulières au motif qu’elles équivalaient à une détention de facto sans pour autant appuyer l’observation. Cette section particulière de la décision doit être lue à la lumière des observations du défendeur à la commissaire selon lesquelles aucune condition ne pouvait être imposée quand la détention était déclarée illégale. C’est dans ce contexte que la commissaire expliquait, en termes généraux, qu’il ne serait pas judicieux d’imposer une « détention de facto » en recourant à des conditions.

[82]      L’arrêt Vavilov nous enseigne que « [l]a cour de révision doit également interpréter les motifs du décideur en fonction de l’historique et du contexte de l’instance dans laquelle ils ont été rendus » (au paragraphe 94; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Shen, 2020 CF 405, au paragraphe 46). Comme indiqué par le défendeur, le programme en résidence de la Société John Howard n’était pas une option que la commissaire était à même d’ordonner à ce moment-là. Selon la dernière information donnée à la commissaire lors de l’audience d’examen des motifs de la détention tenue le 12 janvier 2022, il pouvait s’écouler des semaines avant que l’évaluation soit menée à son terme, et vraisemblablement, même là, il n’était nullement garanti que M. Suleiman serait admis au programme en résidence ou qu’il y aurait de l’espace pour lui à brève échéance. Les parties devaient demander un examen anticipé si le programme en résidence de la Société John Howard devenait une option disponible.

[83]      La commissaire a aussi considéré les motifs de la détention dans le cas présent et ordonné que M. Suleiman participe pleinement à deux programmes distincts d’orientation et de soutien s’adressant aux délinquants sexuels, les Cercles de soutien et de responsabilité d’Ottawa et la Clinique des comportements sexuels de l’Hôpital Royal. Pour pouvoir accéder à ces programmes, M. Suleiman devait participer à des procédures d’admission poussées. La commissaire a noté que M. Suleiman avait coopéré à ce processus et qu’il était disposé à continuer de travailler à sa réadaptation. Elle a aussi relevé qu’il avait déjà entrepris des programmes de réadaptation durant son incarcération. Elle lui a ordonné de fournir son adresse et de se présenter aux responsables de l’ASFC sur demande. Ces conditions attestent que M. Suleiman demeure assujetti à une mesure de renvoi valide et répondent aux inquiétudes selon lesquelles il constitue un risque de fuite et un danger pour le public.

[84]      La décision doit être considérée dans son contexte. La commissaire disposait de documents émanant de plus de 30 examens des motifs de la détention, qui englobaient plus de 120 pièces et des centaines de pages, ainsi que des documents et décisions antérieures de ses collègues. Comme le notait le juge Grammond [Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Thavagnanathiruchelvam, 2021 CF 592, au paragraphe 32] :

[…] [L]e législateur a confié à la [Section de l’immigration], et non à notre Cour, la tâche de pondérer les facteurs de risque et l’efficacité des conditions de mise en liberté pour atténuer le risque. Cet exercice comporte un élément inhérent de subjectivité, car il n’y a pas de formule mathématique pour déterminer le résultat.

[85]      Globalement, la commissaire a considéré que, dans ce contexte, où la détention ne pouvait plus être ordonnée parce que, selon elle, le renvoi n’était plus possible, ces conditions étaient celles qu’il convenait d’imposer dans le cas d’une mise en liberté. Elle a considéré les programmes de réadaptation que M. Suleiman avait déjà suivis, son plus récent comportement durant sa détention, sa coopération avec les responsables de l’ASFC et son désir de participer à deux programmes spécifiques pour délinquants sexuels qui lui étaient offerts. Vu les circonstances exceptionnelles de la présente affaire, les conditions imposées sont raisonnables.

V.    Dispositif

[86]      Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. À la clôture de l’audience, les deux parties sont convenues qu’il n’était pas nécessaire de certifier une question grave de portée générale.

[87]      Je tiens à remercier les avocats des deux parties pour la qualité de leurs arguments et de leurs documents, lesquels, je le sais, ont dû être préparés dans des délais très serrés.

JUGEMENT dans le dossier IMM-643-22

LA COUR :

1.    rejette la demande de contrôle judiciaire;

2.    ne certifie aucune question grave de portée générale.

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