Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

NOTE DE L’ARRÊTISTE : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des décisions des Cours fédérales.

IMM-8878-21

2022 CF 1091

Dana Levin (demanderesse)

c.

Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (défendeur)

Répertorié : Levin c. Canada (Sécurité publique et Protection civile)

Cour fédérale, juge Strickland—Par vidéoconférence, 12 juillet; Ottawa, 25 juillet 2022.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Personnes ayant un statut temporaire — Demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a rejeté la demande présentée par la demanderesse en vue d’obtenir un permis de travail en vertu de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (l’ACEUM) — La demanderesse, une citoyenne des États-Unis, a accepté un poste de professeure extraordinaire adjointe menant à la permanence à l’Université de Windsor — Elle a obtenu un permis de travail d’une durée de cinq ans lorsqu’elle est entrée au Canada pour intégrer son emploi en juin 2010 — La demanderesse ne réside pas au Canada et ne souhaite pas le faire — En 2017, la demanderesse a été promue au poste de professeure permanente — En 2015, puis en 2018, le permis de travail de la demanderesse a été renouvelé aux termes de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) En 2021, la demanderesse a demandé le renouvellement de son permis de travail en vertu du nouvel ACEUM, mais l’agent de l’ASFC, invoquant la section 3.7 des lignes directrices d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), intitulées Programme de mobilité internationale : l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) (les Lignes directrices), a conclu que, comme la demanderesse disposait d’un emploi permanent, l’emploi ne pouvait être considéré comme « temporaire » — Par la suite, la demanderesse a demandé le renouvellement de son permis de travail en vertu de l’ACEUM sur le portail Web d’IRCC, puis a reçu l’approbation initiale d’IRCC — La demanderesse est ensuite retournée au point d’entrée pour demander la délivrance du permis de travail pour lequel elle avait reçu l’approbation initiale d’IRCC, mais l’agent de l’ASFC a refusé sa demande — Il s’agissait de savoir si la décision de l’agent de refuser de délivrer un permis de travail à la demanderesse était raisonnable — Au moment où la décision a été rendue, la demanderesse était une « professionnelle » aux termes de l’ACEUM et satisfaisait aux autres exigences — La seule question dont l’agent était saisi concernait la notion d’« admission temporaire » — Pour rendre sa décision, l’agent s’est appuyé exclusivement sur la section 3.7 des Lignes directrices et a conclu que l’emploi de la demanderesse n’était pas temporaire; il a expressément conclu que parce que la demanderesse disposait d’un emploi permanent, l’emploi ne pouvait être considéré comme temporaire — Si les lignes directrices administratives peuvent être utiles pour indiquer ce qui constitue une interprétation raisonnable d’une disposition législative donnée, elles ne sont pas juridiquement contraignantes et ne sont pas conçues pour être exhaustives ou restrictives — L’agent a commis une erreur en se fondant exclusivement sur la section 3.7 des Lignes directrices pour rendre sa décision et en n’examinant pas la question de savoir si la demanderesse sollicitait une « admission temporaire » en vertu de l’article 16.1 de l’ACEUM, puisqu’elle n’avait pas l’intention de résider de manière permanente au Canada — Par conséquent, l’agent a effectivement entravé son pouvoir discrétionnaire en n’examinant pas si la demanderesse avait l’intention d’établir sa résidence permanente au Canada et si elle se conformait aux mesures canadiennes applicables à l’admission temporaire — La décision a été annulée et l’affaire renvoyée à un autre agent de l’ASFC pour qu’il rende une nouvelle décision en tenant compte des présents motifs — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un agent (l’agent) de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a rejeté la demande présentée par la demanderesse en vue d’obtenir un permis de travail en vertu de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (l’ACEUM).

La demanderesse est citoyenne des États-Unis. En 2010, elle a accepté un poste de professeure extraordinaire adjointe menant à la permanence à l’École de service social de l’Université de Windsor (l’Université). Cette offre d’emploi a été présentée après que l’Université eut obtenu une étude d’impact sur le marché du travail (l’EIMT) favorable. La demanderesse a obtenu un permis de travail d’une durée de cinq ans lorsqu’elle est entrée au Canada pour intégrer son emploi en juin 2010. La demanderesse ne réside pas au Canada et ne souhaite pas le faire. Elle habite avec sa famille à Ann Arbor, au Michigan, et la proximité de Windsor lui permet de se rendre au travail pour enseigner et s’acquitter d’autres responsabilités sur le campus. En 2015, la demanderesse s’est présentée au point d’entrée du pont Ambassador et a demandé le renouvellement de son permis de travail. Elle a obtenu un permis de travail de trois ans à titre de professionnelle en vertu de l’Accord de libre-échange nord-américain (l’ALENA), l’accord antérieur à l’ACEUM. En juillet 2017, la demanderesse a été promue au poste de professeure adjointe permanente. En 2018, elle a de nouveau demandé le renouvellement de son permis de travail à titre de professionnelle aux termes de l’ALENA, lequel lui a été accordé pour une nouvelle période de trois ans. Le 1er juillet 2020, l’ACEUM est entré en vigueur et a remplacé l’ALENA. Le 7 juin 2021, la demanderesse s’est présentée au point d’entrée du pont Ambassador et a demandé le renouvellement de son permis de travail. L’agent de l’ASFC a fait remarquer qu’elle avait présenté sa demande dans le cadre de l’ACEUM, à titre de professionnelle, mais il s’est fondé sur la section 3.7 des lignes directrices d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), intitulées Programme de mobilité internationale : l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) (les Lignes directrices), pour conclure que l’emploi de la demanderesse ne pouvait être considéré comme « temporaire » puisqu’elle occupait un poste permanent. L’agent a informé la demanderesse qu’elle devrait présenter ses prochaines demandes de permis de travail dans le cadre du processus d’EIMT. Elle a reçu une lettre d’autorisation de quitter le Canada. La demanderesse est retournée au pont Ambassador le 10 juin 2021 pour demander encore une fois le renouvellement de son permis de travail, mais l’agent de l’ASFC a de nouveau refusé sa demande, invoquant la section 9 des Lignes directrices. De retour chez elle, la demanderesse a demandé le renouvellement de son permis de travail en vertu de l’ACEUM sur le portail Web d’IRCC. En juillet 2021, la demanderesse a reçu une lettre d’équité procédurale dans laquelle IRCC faisait part de ses doutes au sujet de fausses déclarations et d’une double intention. Son avocat a par la suite répondu par une lettre. La demanderesse a reçu l’approbation initiale d’IRCC le 7 octobre 2021. Le 8 octobre 2021, la demanderesse est retournée au point d’entrée du pont Ambassador pour demander la délivrance du permis de travail pour lequel elle avait reçu l’approbation initiale d’IRCC, mais l’agent a refusé de délivrer un permis de travail pour les mêmes raisons qu’il l’avait fait précédemment. L’agent s’est appuyé sur la section 3.7 des lignes directrices pour tirer cette conclusion et il a affirmé que la demanderesse devrait être parrainée par l’Université pour obtenir la résidence permanente ou présenter une demande dans le cadre du processus d’EIMT.

La demanderesse a soutenu que l’agent a mal saisi le droit et qu’il a substitué une norme personnelle et subjective au critère prévu pour évaluer si elle était une travailleuse temporaire au sens de l’ACEUM. La demanderesse a soutenu que, selon l’article 16.1 de l’ACEUM, l’« admission temporaire » s’entend de « l’admission, sur le territoire d’une Partie, d’un homme ou d’une femme d’affaires d’une autre Partie qui n’a pas l’intention d’y établir sa résidence permanente ». Elle a soutenu qu’elle répondait à cette définition. Le défendeur a allégué notamment que la thèse de la demanderesse équivalait essentiellement à dire qu’un agent n’a aucun pouvoir discrétionnaire au moment de décider si une personne peut entrer au Canada en vertu de l’ACEUM, et il a fait valoir que cela était inexact. L’agent doit plutôt être convaincu que la nature de l’emploi d’un demandeur est temporaire. À ce titre, il était raisonnable pour l’agent de conclure que la demanderesse n’occupe pas un emploi temporaire.

Il s’agissait de savoir si la décision de l’agent de refuser de délivrer un permis de travail à la demanderesse était raisonnable.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Le paragraphe 30(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) prévoit qu’un étranger ne peut exercer un emploi au Canada que sous le régime de la Loi. Le paragraphe 30(1.1) prévoit que l’agent peut, sur demande, autoriser l’étranger qui satisfait aux conditions réglementaires énoncées dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR) à exercer un emploi au Canada. L’alinéa 204a) du RIPR prévoit qu’un étranger peut demander un permis de travail en vertu d’accords ou d’ententes internationaux. En l’espèce, la demanderesse a demandé un permis de travail en vertu d’un tel accord, à savoir l’ACEUM. Le paragraphe 16.4(1) de l’ACEUM prévoit que « [c]hacune des Parties autorise, […] l’admission temporaire d’un homme ou d’une femme d’affaires qui satisfait par ailleurs aux exigences d’admission […] » Au moment où la décision a été rendue, la demanderesse était une « professionnelle » aux termes de l’ACEUM et satisfaisait à d’autres exigences. La seule question dont l’agent était saisi concernait la notion d’« admission temporaire ». L’ACEUM définit l’« admission temporaire » comme « l’admission, sur le territoire d’une Partie, d’un homme ou d’une femme d’affaires d’une autre Partie qui n’a pas l’intention d’y établir sa résidence permanente » (article 16.1). Par conséquent, suivant l’article 16.4 : Autorisation d’admission temporaire, l’agent devait juger si la demanderesse avait l’intention d’établir sa résidence permanente au Canada et si elle se conformait par ailleurs aux « [mesures] applicables à l’admission temporaire » du Canada. Cependant, pour rendre sa décision, l’agent s’est appuyé exclusivement sur la section 3.7 des Lignes directrices. L’agent a conclu que l’emploi de la demanderesse n’était pas temporaire puisqu’elle occupait un poste permanent, qu’elle travaillait à l’Université depuis 11 ans et qu’elle n’était pas employée ailleurs. L’agent a expressément conclu que parce que la demanderesse disposait d’un emploi permanent, l’emploi ne pouvait être considéré comme temporaire. L’agent a commis une erreur en se fondant exclusivement sur la section 3.7 des lignes directrices pour rendre sa décision et en n’examinant pas la question de savoir si la demanderesse sollicitait une « admission temporaire » en vertu de l’article 16.1 de l’ACEUM, puisqu’elle n’avait pas l’intention de résider de manière permanente au Canada. Il est incontestable que si les lignes directrices administratives peuvent être utiles pour indiquer ce qui constitue une interprétation raisonnable d’une disposition législative donnée, elles ne sont pas juridiquement contraignantes et ne sont pas conçues pour être exhaustives ou restrictives. Les agents peuvent tenir compte des lignes directrices, mais ils commettront une erreur s’ils les considèrent comme exécutoires ou s’ils n’examinent pas les circonstances particulières de l’affaire dont ils sont saisis. En l’espèce, l’agent n’a pas examiné si la demanderesse avait l’intention d’établir sa résidence permanente au Canada ni si elle s’est conformée aux mesures canadiennes applicables à l’admission temporaire, comme l’exigent la Loi et le RIPR. À cet égard, l’agent n’a pas tenu compte des renseignements fournis par la demanderesse. Bien que les facteurs liés à l’emploi sur lesquels s’est appuyé l’agent aient pu l’aider à examiner si la demanderesse avait l’intention d’établir sa résidence permanente au Canada et si elle respectait les mesures du Canada applicables à l’admission temporaire, ils n’étaient pas déterminants en soi. L’agent a également commis une erreur en fondant le rejet de la demande sur le fait que l’emploi de la demanderesse ne répondait pas à la définition d’emploi temporaire aux termes de l’ACEUM. L’ACEUM ne définit pas le terme « travail temporaire », seulement le terme « admission temporaire ».

En conclusion, en se fondant exclusivement sur la section 3.7 des lignes directrices et sur les facteurs liés à la nature de l’emploi de la demanderesse à l’Université, l’agent a effectivement entravé son pouvoir discrétionnaire en n’examinant pas si la demanderesse avait l’intention d’établir sa résidence permanente au Canada et si elle se conformait aux mesures canadiennes applicables à l’admission temporaire. La décision n’était donc pas justifiée à la lumière des contraintes factuelles et juridiques qui avaient une incidence sur le décideur. La décision a été annulée et l’affaire a été renvoyée à un autre agent des services frontaliers du Canada pour qu’il rende une nouvelle décision en tenant compte des présents motifs.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 30(1), (1.1).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 204a).

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2.

Protocole visant à remplacer l’Accord de libre-échange nord-américain par l’Accord entre le Canada, les États-Unis d’Amérique et les États-Unis mexicains, 1er juillet 2020, [2020] R.T. Can. no 5, tel que modifié par le Protocole d’amendement de l’accord entre le Canada, les États-Unis d’Amérique et les États-Unis mexicains, 1er juillet 2020, [2020] R.T. Can. no 6, art. 16.1, 16.4(1), annexe 16-A.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653; Lunyamila c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, [2018] 3 R.C.F. 674

DÉCISIONS MENTIONNÉES

Santiago c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 91, [2018] 1 R.C.F. 166; Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909; Gordon c. Canada (Procureur général), 2016 CF 643; Canadian Reformed Church of Cloverdale B.C. c. Canada (Emploi et Développement social), 2015 CF 1075; Marcom Resources Ltd. c. Canada (Emploi, Développement de la main-d’œuvre et du Travail), 2020 CF 182; Castle Building Group Ltd. c. Canada (Revenu national), 2021 CF 947; Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, [2018] 2 R.C.F. 229.

DOCTRINE CITÉE

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Programme de mobilité internationale : L’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM).

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada a rejeté la demande présentée par la demanderesse en vue d’obtenir un permis de travail en vertu de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

Randall Cohn pour la demanderesse

Hilla Aharon pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Edelmann & Co. Law Offices, Vancouver, pour la demanderesse

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

La juge Strickland :

[1]        La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un agent (l’agent) de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a rejeté la demande présentée par la demanderesse en vue d’obtenir un permis de travail en vertu de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (l’ACEUM)[1].

[2]        Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

Contexte

[3]        La demanderesse, Mme Dana Levin, est citoyenne des États-Unis. En 2010, elle a accepté un poste de professeure extraordinaire adjointe menant à la permanence à l’École de service social de l’Université de Windsor (l’Université). Cette offre d’emploi a été présentée après que l’Université eut obtenu une étude d’impact sur le marché du travail (l’EIMT) favorable. La demanderesse a obtenu un permis de travail d’une durée de cinq ans lorsqu’elle est entrée au Canada pour intégrer son emploi en juin 2010.

[4]        La demanderesse ne réside pas au Canada et ne souhaite pas le faire. Elle habite avec sa famille à Ann Arbor, au Michigan, et la proximité de Windsor lui permet de se rendre au travail pour enseigner et s’acquitter d’autres responsabilités sur le campus.

[5]        En 2015, la demanderesse s’est présentée au point d’entrée du pont Ambassador et a demandé le renouvellement de son permis de travail. Elle a obtenu un permis de travail de trois ans à titre de professionnelle en vertu de l’Accord de libre-échange nord-américain [entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. n2] (l’ALENA), l’accord antérieur à l’ACEUM. Ce permis de travail a vraisemblablement été délivré au motif qu’il ne nécessitait pas une EIMT.

[6]        En juillet 2017, la demanderesse a été promue au poste de professeure adjointe permanente. En 2018, elle a de nouveau demandé le renouvellement de son permis de travail à titre de professionnelle aux termes de l’ALENA, lequel lui a été accordé pour une nouvelle période de trois ans.

[7]        Le 1er juillet 2020, l’ACEUM est entré en vigueur et a remplacé l’ALENA.

[8]        Le 7 juin 2021, la demanderesse s’est présentée au point d’entrée du pont Ambassador et a demandé le renouvellement de son permis de travail. L’agent de l’ASFC a fait remarquer qu’elle avait présenté sa demande dans le cadre de l’ACEUM, à titre de professionnelle, mais il s’est fondé sur la section 3.7 des lignes directrices d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), intitulées Programme de mobilité internationale : l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) (les lignes directrices), pour conclure que l’emploi de la demanderesse ne pouvait être considéré comme « temporaire » puisqu’elle occupe un poste permanent. L’agent a informé la demanderesse qu’elle devrait présenter ses prochaines demandes de permis de travail dans le cadre du processus d’EIMT. Elle a reçu une lettre d’autorisation de quitter le Canada.

[9]        La demanderesse a ensuite sollicité l’aide du personnel des ressources humaines de l’Université, qui l’a informée qu’elle pourrait bénéficier d’un « statut implicite » si elle demandait un permis de travail en ligne et qu’elle serait donc en mesure de travailler tout en étant payée pendant l’examen de sa demande. Avant de présenter sa demande en ligne, la demanderesse est retournée au pont Ambassador le 10 juin 2021 pour demander de nouveau le renouvellement de son permis de travail en expliquant sa situation, notamment les conseils qu’elle avait reçus d’un avocat spécialisé en immigration. L’agent de l’ASFC a invoqué la section 9 des lignes directrices pour rejeter de nouveau sa demande, et il a conseillé à la demanderesse de présenter une demande de résidence permanente. Une seconde lettre d’autorisation de quitter le Canada a été envoyée. La demanderesse a informé l’agent qu’elle présenterait probablement une demande en ligne. De retour chez elle, la demanderesse a demandé le renouvellement de son permis de travail en vertu de l’ACEUM sur le portail Web d’IRCC.

[10]      Le 14 juillet 2021, la demanderesse a reçu une lettre d’équité procédurale dans laquelle IRCC faisait part de ses doutes au sujet de fausses déclarations et d’une double intention. Son avocat a répondu par une lettre datée du 27 septembre 2021.

[11]      La demanderesse a reçu l’approbation initiale d’IRCC le 7 octobre 2021. Le 8 octobre 2021, la demanderesse est retournée au point d’entrée du pont Ambassador pour demander la délivrance du permis de travail pour lequel elle avait reçu l’approbation initiale d’IRCC. L’agent a refusé de lui délivrer un permis de travail. La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

Décision faisant l’objet du contrôle

[12]      Bien que le dossier certifié du tribunal (le DCT) contienne à la fois les entrées du Système mondial de gestion des cas et les notes aux dossiers des deux premiers agents, qui ont rejeté les demandes de permis de travail de la demanderesse les 7 et 10 juin 2021, pour ce qui est de la décision faisant l’objet du présent contrôle, le DCT ne comporte que les [traduction] « notes au dossier pour la demande d’autorisation de quitter le Canada du 8 octobre 2021 » préparées par l’agent. Les notes au dossier comprennent les motifs de la décision.

[13]      L’agent a exposé le contexte de la demande et a refusé de délivrer un permis de travail à la demanderesse. Selon l’agent, comme l’emploi de la demanderesse à l’Université est permanent, son emploi ne peut être considéré comme « temporaire » et ne peut donc servir à appuyer sa demande. L’agent s’est appuyé sur la section 3.7 des lignes directrices pour tirer cette conclusion.

[14]      L’agent a affirmé que la demanderesse occupe un poste permanent, qu’elle travaille à temps plein à l’Université depuis 11 ans et qu’elle n’est pas employée ailleurs. L’agent a estimé que le premier permis de travail de la demanderesse, délivré en 2010 pour une période de cinq ans dans le cadre de l’EIMT, a été accordé pour ce qui était considéré comme un [traduction] « emploi temporaire », mais qu’après son expiration en 2015, l’emploi de la demanderesse n’était plus « temporaire ». L’agent a renvoyé à l’observation de l’avocat de la demanderesse, qui a affirmé que l’emploi de sa cliente à l’Université satisfait à la définition d’« emploi temporaire » de l’ACEUM, puisqu’elle réside aux États-Unis bien qu’elle travaille à temps plein au Canada. L’agent a rejeté cet argument en disant que l’avocat [traduction] « a sélectionné des mots précis dans l’ACEUM pour essayer de faire croire » que l’emploi de la demanderesse est « temporaire ».

[15]      L’agent a affirmé que la demanderesse devrait être parrainée par l’Université pour obtenir la résidence permanente ou présenter une demande dans le cadre du processus d’EIMT.

Question en litige et norme de contrôle

[16]      La seule question en litige en l’espèce est de savoir si la décision de l’agent de refuser de délivrer un permis de travail à la demanderesse était raisonnable.

[17]      Les parties soutiennent, et je suis du même avis, que la décision de l’agent est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653 (Vavilov), aux paragraphes 10, 23 et 25). Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la cour de révision doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celleci (Vavilov, au paragraphe 99).

Dispositions législatives pertinentes

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR]

Accords ou ententes internationaux

204 Un permis de travail peut être délivré à l’étranger en application de l’article 200 si le travail pour lequel le permis est demandé est visé par :

a)      un accord ou une entente conclu entre le Canada et le gouvernement d’un État étranger ou une organisation internationale, à l’exclusion d’un accord ou d’une entente concernant les travailleurs agricoles saisonniers[.]

Accord entre le Canada, les États-Unis d’Amérique et les États-Unis mexicains (Accord Canada-États-Unis-Mexique)

Chapitre 16 — Admission temporaire des hommes et des femmes d’affaires

Article 16.1 : Définitions

Les définitions qui suivent s’appliquent au présent chapitre :

admission temporaire désigne l’admission, sur le territoire d’une Partie, d’un homme ou d’une femme d’affaires d’une autre Partie qui n’a pas l’intention d’y établir sa résidence permanente.

[…]

homme ou femme d’affaires désigne un citoyen ou une citoyenne d’une Partie qui pratique le commerce de produits, qui fournit des services ou qui mène des activités d’investissement.

[…]

Article 16.4 : Autorisation d’admission temporaire

1.  Chacune des Parties autorise, conformément au présent chapitre, y compris l’annexe 16-A (Admission temporaire des hommes et des femmes d’affaires), l’admission temporaire d’un homme ou d’une femme d’affaires qui satisfait par ailleurs aux exigences d’admission de ses mesures relatives à la santé et à la sécurité publique ainsi qu’à la sécurité nationale.

[…]

Annexe 16-A

ADMISSION TEMPORAIRE DES HOMMES ET DES FEMMES D’AFFAIRES

[…]

Section D : Professionnels

1.  Chacune des Parties autorise l’admission temporaire, et remet des documents confirmant l’autorisation, à un homme ou une femme d’affaires qui désire exercer des activités commerciales à un niveau professionnel dans l’une des professions énoncées à l’appendice 2, pour autant que l’homme ou la femme d’affaires satisfasse par ailleurs aux mesures de la Partie applicables à l’admission temporaire, sur présentation :

a) d’une preuve de citoyenneté d’une Partie;

b) de documents établissant que l’homme ou la femme d’affaires exercera l’une des activités mentionnées et décrivant le but de l’admission.

Analyse

Thèse de la demanderesse

[18]      La demanderesse soutient que l’agent a mal saisi le droit et qu’il a substitué une norme personnelle et subjective au critère prévu pour évaluer si elle est une travailleuse temporaire au sens de l’ACEUM.

[19]      La demanderesse soutient que, selon l’article 16.1 de l’ACEUM, l’« admission temporaire » s’entend de « l’admission, sur le territoire d’une Partie, d’un homme ou d’une femme d’affaires d’une autre Partie qui n’a pas l’intention d’y établir sa résidence permanente ». Elle soutient qu’elle répond à cette définition, car il est manifeste qu’elle n’essaie pas d’établir sa résidence permanente au Canada ou de contourner les procédures normales d’immigration. De plus, elle soutient que l’agent s’est appuyé à tort sur son poste permanent, la durée de son emploi, son salaire et le fait qu’elle n’a pas d’autre carrière pour rejeter sa demande de permis de travail. Elle affirme que ces facteurs ne figurent pas dans l’ACEUM ou dans tout autre ensemble de règles de droit. Elle soutient que la décision de l’agent est fondée sur une mauvaise interprétation des articles 16.1 et 16.4 de l’ACEUM et des sections 1.10 et 3.7 des lignes directrices.

[20]      La demanderesse ajoute que la décision de l’agent a directement annulé la décision d’IRCC, rendue quelques jours plus tôt, qui avait initialement accueilli sa demande de permis de travail. Bien que la demanderesse reconnaisse que l’agent n’était pas lié par la décision d’IRCC, elle fait valoir qu’il n’a pas expliqué les motifs de la conclusion différente à laquelle il est parvenu (Santiago c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 91, [2018] 1 R.C.F. 166, aux paragraphes 34–37).

Thèse du défendeur

[21]      Le défendeur allègue que la thèse de la demanderesse équivaut essentiellement à dire qu’un agent n’a aucun pouvoir discrétionnaire au moment de décider si une personne peut entrer au Canada en vertu de l’ACEUM, et il fait valoir que cela est inexact. L’agent doit plutôt être convaincu que la nature de l’emploi du demandeur est temporaire. À ce titre, il était raisonnable pour l’agent de conclure que la demanderesse n’occupe pas un emploi temporaire. Elle a travaillé pour l’Université pendant 11 ans, où elle a d’abord occupé un poste de professeure extraordinaire à temps plein menant à la permanence, puis un poste permanent de professeure à temps plein à la suite d’une promotion en 2017.

[22]      Le défendeur ajoute que la décision initiale d’IRCC d’accueillir la demande de permis de travail de la demanderesse ne garantissait ni n’autorisait son admission au Canada, et il fait remarquer que la décision définitive de délivrer un permis de travail et de permettre à un étranger d’entrer au Canada appartient à l’ASFC, et que cela est indiqué sur l’approbation initiale d’IRCC.

Analyse

[23]      Le paragraphe 30(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) prévoit qu’un étranger ne peut exercer un emploi au Canada que sous le régime de la LIPR. Le paragraphe 30(1.1) prévoit que l’agent peut, sur demande, autoriser l’étranger qui satisfait aux conditions réglementaires énoncées dans le RIPR à exercer un emploi au Canada. L’alinéa 204a) du RIPR prévoit qu’un étranger peut demander un permis de travail en vertu d’accords ou d’ententes internationaux.

[24]      En l’espèce, la demanderesse a demandé un permis de travail en vertu d’un tel accord, à savoir l’ACEUM. Le paragraphe 16.4(1) de l’ACEUM prévoit que « [c]hacune des Parties autorise, conformément au présent chapitre, y compris l’annexe 16-A (Admission temporaire des hommes et des femmes d’affaires), l’admission temporaire d’un homme ou d’une femme d’affaires qui satisfait par ailleurs aux exigences d’admission de ses mesures relatives à la santé et à la sécurité publique ainsi qu’à la sécurité nationale ». La disposition pertinente de l’annexe 16-A, section D : Professionnels, article 1, ajoute que chacune des Parties autorise l’admission temporaire, et remet des documents confirmant l’autorisation, pour autant que l’homme ou la femme d’affaires satisfasse par ailleurs aux mesures de la Partie applicables à l’admission temporaire, sur présentation : a) d’une preuve de citoyenneté d’une Partie; b) d’une preuve d’emploi.

[25]      Aucune des parties n’a contesté qu’au moment où la décision a été rendue, la demanderesse était une « professionnelle » aux termes de l’ACEUM, qu’elle se conformait aux mesures canadiennes relatives à la santé publique et à la sécurité nationale et qu’elle possédait une preuve de citoyenneté et une preuve d’emploi. La seule question dont l’agent était saisi concernait la notion d’« admission temporaire ».

[26]      L’ACEUM définit l’« admission temporaire » comme « l’admission, sur le territoire d’une Partie, d’un homme ou d’une femme d’affaires d’une autre Partie qui n’a pas l’intention d’y établir sa résidence permanente » (article 16.1). Au-delà de cette définition, l’ACEUM ne précise aucun élément d’appréciation pour juger si un homme ou une femme d’affaires cherche à être admis temporairement sur le territoire d’une Partie.

[27]      Par conséquent, j’estime que suivant l’article 16.4 : Autorisation d’admission temporaire, l’agent devait juger si la demanderesse avait l’intention d’établir sa résidence permanente au Canada et si elle se conformait par ailleurs aux « [mesures] applicables à l’admission temporaire » du Canada.

[28]      Cependant, pour rendre sa décision, l’agent s’est appuyé exclusivement sur la section 3.7 des lignes directrices, qui prévoient ce qui suit :

3.7 Quelle est la durée de validité d’un permis de travail? Peut-elle être prolongée?

Un premier permis de travail délivré peut-être valide pour une période maximale de trois ans.

Des prolongations d’une durée maximale de trois ans peuvent être accordées, à la condition que la personne concernée satisfasse toujours aux exigences applicables aux professionnels.

Les agents doivent avoir l’assurance que l’emploi est toujours de nature « temporaire » et que le demandeur n’utilise pas l’ACEUM pour se soustraire aux formalités usuelles en matière d’immigration.

[29]      La section 1.10 des lignes directrices porte sur les définitions et les interprétations. Elle ne définit pas les termes « temporaire », « emploi temporaire » ou « admission temporaire ». Elle comprend toutefois une note qui souligne que l’« admission temporaire » signifie l’entrée sans « l’intention d’y établir sa résidence permanente » — ce qui est fidèle à la définition de l’« admission temporaire » que l’on trouve à l’article 16.1 de l’ACEUM et à l’article 16.4 : Autorisation d’admission temporaire. La section 1.10 des lignes directrices porte également sur les emplois temporaires et permanents :

Remarque : Admission temporaire s’entend de l’admission, sur le territoire d’une Partie, d’un homme ou d’une femme d’affaires d’une autre Partie n’ayant pas l’intention d’y établir sa résidence permanente. Cette définition est conforme à la Loi canadienne en matière d’immigration. Elle comporte la souplesse nécessaire pour répondre aux besoins des gens d’affaires et elle reconnaît que la notion d’admission temporaire, dans la plupart des cas, ne peut être fondée sur une limitation temporelle stricte. Dans son application, la définition ne doit être comprise ni comme une définition ouverte, ni comme un mécanisme qui permet de se soustraire aux formalités liées à la résidence permanente.

Comme de nombreux travailleurs temporaires, les personnes qui sont autorisées à entrer au Canada aux termes de l’ACEUM peuvent être autorisées à occuper temporairement un poste temporaire ou permanent. Toutefois, une personne ne peut invoquer l’ACEUM pour séjourner indéfiniment au Canada. (Non souligné dans l’original.)

[30]      Les lignes directrices contiennent également une section traitant précisément de l’application de l’admission temporaire en vertu de l’ACEUM (article 16) pour les enseignants des universités, collèges et séminaires. Ces personnes peuvent obtenir un permis de travail afin de s’acquitter d’une nomination temporaire dans une université en présentant simplement une lettre de l’employeur au point d’entrée décrivant la nomination temporaire. Une personne admise pour exercer un emploi temporaire à titre de professeur d’université peut effectuer toutes les tâches habituellement associées à ce poste.

[31]      Cette section des lignes directrices comprend également ce qui suit :

5. L’ACEUM facilite-t-il l’admission permanente au Canada, aux États-Unis ou [au] Mexique?

Non. Le chapitre sur l’immigration de l’ACEUM a pour objet de faciliter uniquement l’octroi de l’autorisation de séjour temporaire.

6. Qu’est-ce que l’autorisation de séjour temporaire?

Selon l’ACEUM, un « séjour temporaire » désigne un « séjour sans intention de résidence permanente ». Cette définition est conforme à la législation en matière d’immigration. Elle peut s’adapter aux circonstances et met en évidence le fait que la notion de séjour temporaire ne se limite pas à la simple question de la durée du séjour.

Elle n’autorise pas pour autant le séjour temporaire sans limite de durée. L’ACEUM ne peut être invoqué pour contourner les modalités régissant l’emploi permanent ni comme moyen d’établir la résidence permanente de fait.

Au PDE, un permis de travail peut être accordé pour la durée du contrat, jusqu’à concurrence de douze mois. Si la nomination est pour une durée supérieure à douze mois, il faudra demander et obtenir le renouvellement du permis de travail. (Une personne munie d’un permis de travail en cours de validité peut demander le renouvellement de ce dernier et devrait en faire la demande au moins un mois avant l’échéance du permis. La demande peut être téléchargée du site Web d’IRCC et être obtenue du Télécentre.)

Des prorogations multiples ne seront pas approuvées systématiquement, même si l’intéressé a indiqué au moment de son arrivée au Canada qu’il s’agissait d’une nomination de longue durée. Plus la durée du séjour temporaire se prolonge, plus il incombe au titulaire du permis de convaincre l’agent du caractère temporaire du séjour, en particulier au moment de la demande de prorogation.

7. L’ACEUM autorise-t-il le séjour temporaire pour accepter une nomination temporaire à un poste permanent?

Oui. Beaucoup de travailleurs étrangers temporaires en général sont autorisés à occuper temporairement un poste permanent qui, pour une raison ou pour une autre, est temporairement vacant.

8. Le processus de l’EIMT visant l’emploi temporaire et l’emploi permanent est-il touché par l’ACEUM?

Les modalités régissant l’emploi permanent ne sont pas touchées par l’ACEUM. La formule de la mise en concurrence exigée dans le processus de l’EIMT continue de s’appliquer aux nominations permanentes.

Par ailleurs, les dispositions de l’ACEUM interdisent, comme condition de l’autorisation d’un séjour temporaire, « des procédures d’approbation préalable, des demandes, des validations de l’offre d’emploi ou d’autres procédures ayant un effet similaire ». Il est donc interdit d’exiger la confirmation de Service Canada lorsqu’il s’agit d’une nomination temporaire. Une formule de recrutement (publicité) qui est indépendante d’une validation de l’offre d’emploi ou d’autres procédures ayant un effet similaire est permise lorsqu’il s’agit d’une nomination temporaire visée par l’ACEUM.

Les autorités d’une université peuvent établir une politique d’embauche des « Canadiens d’abord » et ne pas être en conflit avec les dispositions du chapitre 16 ou toute autre disposition de l’ACEUM. L’université ne ferait qu’exercer sa prérogative à titre d’employeur.

Si l’on décidait toutefois d’offrir un emploi temporaire à un enseignant des États-Unis ou du Mexique, alors l’admission de cette personne au Canada de même que son autorisation de travailler seraient facilitées grâce aux dispositions du chapitre 16 de l’ACEUM.

9. Que se passe-t-il lorsqu’une université souhaite convertir une affectation temporaire en vertu de l’ACEUM en une affectation permanente?

L’université doit offrir le poste permanent ou d’une durée indéterminée au titulaire actuel du poste. Ce dernier doit alors demander le statut de résident permanent et profiter des points accordés du fait d’avoir un emploi réservé; s’il peut prétendre au statut de résident permanent de la catégorie des travailleurs qualifiés, il obtient un visa de résident permanent.

10. Quelles sont les formalités d’immigration que doivent remplir les enseignants des États-Unis et du Mexique qui viennent au Canada pour prendre un emploi temporaire?

Ils ont besoin d’un permis de travail pour enseigner à titre temporaire au Canada dans une université, un collège ou un séminaire. Le citoyen des États-Unis/du Mexique peut solliciter un permis de travail à un PDE au Canada et doit fournir les documents suivants :

a. une preuve de citoyenneté (passeport ou acte de naissance);

b. une lettre de l’établissement ou un contrat signé par celui-ci fournissant tous les détails de l’emploi temporaire, notamment :

•    la nature du poste offert;

•    les dispositions concernant la rémunération;

•    les compétences requises;

•    la durée de la nomination.

Afin de faciliter encore davantage l’octroi de l’autorisation de séjour temporaire à la frontière, sans que cela soit obligatoire, il est recommandé de préciser dans la lettre ou le contrat que « l’offre d’emploi est une nomination temporaire jugée conforme aux conditions de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique »;

c. une preuve que le candidat est au moins titulaire d’un baccalauréat.

En outre, les demandeurs doivent pouvoir convaincre un agent d’immigration qu’ils se conforment aux exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et du Règlement, c’est-à-dire être en bonne santé et ne pas avoir de casier judiciaire.

[32]      En se fondant uniquement sur la section 3.7 des lignes directrices, l’agent a conclu que l’emploi de la demanderesse n’était pas temporaire puisqu’elle occupait un poste permanent, qu’elle travaillait à l’Université depuis 11 ans et qu’elle n’était pas employée ailleurs. L’agent a expressément conclu que parce que la demanderesse disposait d’un [traduction] « emploi permanent, l’emploi ne pouvait être considéré comme “temporaire” ». L’agent a également affirmé qu’en dépit de l’approbation du permis de travail de la demanderesse, [traduction « la demande de permis de travail a été rejetée parce que l’emploi de la personne ne satisfait pas à la définition d’emploi temporaire prévue par l’ACEUM ».

[33]      J’estime que l’agent a commis une erreur en se fondant exclusivement sur la section 3.7 des lignes directrices pour rendre sa décision et en n’examinant pas la question de savoir si la demanderesse sollicitait une « admission temporaire » en vertu de l’article 16.1 de l’ACEUM, puisqu’elle n’avait pas l’intention de résider de manière permanente au Canada.

[34]      L’agent a fait remarquer ce qui suit :

-      la demanderesse a résidé uniquement aux États-Unis au cours des 11 dernières années tout en travaillant à l’Université, au Canada;

-      elle a obtenu des permis de travail de manière consécutive de 2010 à 2021;

-      comme la demanderesse occupe un poste permanent, son emploi n’est pas considéré comme « temporaire » aux fins d’un permis de travail délivré en vertu de l’ACEUM;

-      elle n’a pas demandé à obtenir une EIMT parce que l’Université ne voulait pas la payer.

[35]      Il est incontestable que si les lignes directrices administratives peuvent être utiles pour indiquer ce qui constitue une interprétation raisonnable d’une disposition législative donnée, elles ne sont pas juridiquement contraignantes et ne sont pas conçues pour être exhaustives ou restrictives. Les agents peuvent tenir compte des lignes directrices, mais ils commettront une erreur s’ils les considèrent comme exécutoires ou s’ils n’examinent pas les circonstances particulières de l’affaire dont ils sont saisis (voir, par exemple, Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909, au paragraphe 32; Gordon c. Canada (Procureur général), 2016 CF 643, au paragraphe 29; Canadian Reformed Church of Cloverdale B.C. c. Canada (Emploi et Développement social), 2015 CF 1075, aux paragraphes 10–12; Marcom Resources Ltd. c. Canada (Emploi, Développement de la main-d’œuvre et du Travail)), 2020 CF 182, aux paragraphes 27–28; Castle Building Group Ltd. c. Canada (Revenu national), 2021 CF 947, au paragraphe 33).

[36]      À mon avis, l’agent n’a pas examiné si la demanderesse avait l’intention d’établir sa résidence permanente au Canada ni si elle s’est conformée aux mesures canadiennes applicables à l’admission temporaire, comme l’exigent la LIPR et le RIPR. À cet égard, l’agent n’a pas tenu compte des renseignements fournis par la demanderesse, comme le fait qu’elle réside exclusivement aux États-Unis avec sa famille et qu’elle se rend au travail au besoin, qu’elle n’a passé qu’environ 400 jours au Canada pendant la dernière période quinquennale pertinente et, notamment, qu’elle a expliqué ne pas avoir l’intention — comme cela a été démontré au cours des 11 dernières années — de résider au Canada, de façon temporaire ou permanente.

[37]      Bien que les facteurs liés à l’emploi sur lesquels s’est appuyé l’agent aient pu l’aider à examiner si la demanderesse avait l’intention d’établir sa résidence permanente au Canada et si elle respectait les mesures du Canada applicables à l’admission temporaire, ils ne sont pas déterminants en soi.

[38]      L’agent a également commis une erreur en fondant le rejet de la demande sur le fait que l’emploi de la demanderesse [traduction] « ne répond pas à la définition d’emploi temporaire aux termes de l’ACEUM ». L’ACEUM ne définit pas le travail temporaire, mais seulement l’« admission temporaire » — qui concerne l’intention du demandeur d’établir sa résidence permanente.

[39]      En conclusion, en se fondant exclusivement sur la section 3.7 des lignes directrices et sur les facteurs liés à la nature de l’emploi de la demanderesse à l’Université, l’agent a effectivement entravé son pouvoir discrétionnaire en n’examinant pas si la demanderesse avait l’intention d’établir sa résidence permanente au Canada et si elle se conformait aux mesures canadiennes applicables à l’admission temporaire. La décision n’est donc pas justifiée à la lumière des contraintes factuelles et juridiques qui avaient une incidence sur le décideur (Vavilov, au paragraphe 105).

[40]      Cela dit, si l’agent avait examiné l’intention de la demanderesse, il aurait tout de même pu conclure que la nature indéterminée du travail de la demanderesse signifiait que son poste permanent de professeure n’était pas temporaire et que sa situation particulière, à savoir les déplacements transfrontaliers, n’atténuait pas ses doutes. J’estime en effet qu’il n’est pas clair, au vu du dossier dont je dispose, si l’ACEUM est censé s’appliquer à une personne dans la situation de la demanderesse.

Questions à certifier

[41]      En l’espèce, la demanderesse propose les questions suivantes pour la certification :

i.     Un citoyen des États-Unis ou du Mexique qui réside aux États-Unis et qui occupe un poste de durée indéterminée au Canada peut-il être dispensé de l’obligation d’obtenir une EIMT en application de l’article 16.4 de l’ACEUM?

ii.    Un ressortissant étranger qui peut être dispensé de l’obligation d’obtenir une EIMT, en application de l’article 16.4 de l’ACEUM, doit-il démontrer que son emploi est temporaire afin de satisfaire au critère d’admission temporaire?

[42]      Pour que notre Cour certifie une question de portée générale, il doit s’agir d’une question grave, déterminante quant à l’issue de l’affaire, qui transcende les intérêts des parties au litige et qui porte sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale (Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, [2018] 2 R.C.F. 229, au paragraphe 36).

[43]      Dans l’arrêt Lunyamila c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, [2018] 3 R.C.F. 674, la Cour d’appel fédérale a réexaminé les critères à respecter pour la certification d’une question proposée [au paragraphe 46] :

La Cour a récemment réitéré, dans l’arrêt Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, [2018] 2 R.C.F. 229, au paragraphe 36, les critères de certification. La question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. Cela signifie que la question doit avoir été examinée par la Cour fédérale et elle doit découler de l’affaire elle-même, et non simplement de la façon dont la Cour fédérale a statué sur la demande. Un point qui n’a pas à être tranché ne peut soulever une question dûment certifiée (arrêt Lai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21, au paragraphe 10). Il en est de même pour une question qui est de la nature d’un renvoi ou dont la réponse dépend des faits qui sont uniques à l’affaire (arrêt Mudrak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, aux paragraphes 15 et 35).

[44]      Comme les questions proposées n’ont pas été traitées dans mes motifs, la certification n’est pas appropriée.

JUGEMENT dans le dossier IMM-8878-21

LA COUR STATUE :

1.    La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.    La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent des services frontaliers du Canada pour qu’il rende une nouvelle décision en tenant compte des présents motifs.

3.    Aucuns dépens ne sont adjugés.

4.    Les questions proposées ne sont pas certifiées.



[1] Protocole visant à remplacer l’Accord de libre-échange nord-américain par l’Accord entre le Canada, les États-Unis d’Amérique et les États-Unis mexicains, 1er juillet 2020, [2020] R.T. Can. no 5, tel que modifié par le Protocole d’amendement de l’Accord entre le Canada, les États-Unis d’Amérique et les États-Unis mexicains, 1er juillet 2020, [2020] R.T. Can. no 6.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.